Publié le 06-03-2018

Point de presse d'Alain Juppé à propos des relations Tuniso-Françaises

M. Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères et européennes, en visite à Tunis à donné un point de presse à la résidence de France



Point de presse d'Alain Juppé à propos des relations Tuniso-Françaises

Question : Monsieur le ministre, que répondez-vous à ceux qui disent que la France n’était pas du côté de la révolution tunisienne à cause de ses relations avec l’ancien régime ?

Réponse : J’ai déjà répondu mille fois à cette question. Qui n’a pas eu de relations avec l’ancien régime ? Qui n’a pas eu de relations avec l’ancien régime libyen ? Qui n’a pas eu de relations avec l’ancien régime égyptien ? Les relations internationales sont ce qu’elles sont. Il y a des gouvernements en exercice et on travaille avec ces gouvernements, voilà ! C’est vrai, nous n’avons peut-être pas su suffisamment anticiper ce qui se passait en profondeur dans le peuple tunisien : le rejet de ce régime, l’aspiration à des libertés. Peut-être avons-nous manqué de perspicacité mais simplement, pour plaider la cause de la France, nous n’avons pas été les seuls.

Maintenant, ça c’est le passé, ne ressassons pas ces événements. Je crois qu’aujourd’hui, il n’y a pas la moindre ambiguïté, nous sommes au côté de la Tunisie et je peux vous dire que l’accueil que j’ai reçu a été sans aucune espèce de critique ou de réticence. Cela a été un accueil vraiment chaleureux, enthousiaste et désireux de coopérer plus que jamais.

Question : Monsieur le ministre, après un grand flou diplomatique et des relations franco‑tunisiennes assez tendues depuis le 14 janvier, comment réagissez-vous lorsqu’on vous dit que vous portez un peu l’étiquette de monsieur "calmer le jeu" ? Pourquoi votre visite en Tunisie a-t-elle pris du retard puisqu’elle était prévue avant le 9 avril ?

Réponse : Vous avez-vous-même répondu sur ces prétendues tensions. Vous savez, j’ai des collègues très efficaces qui sont venus sur des sujets techniques. J’ai choisi, je pense le bon moment pour venir, en fonction du calendrier des autorités tunisiennes et de mon propre calendrier, et je crois que c’est une visite qui est tout à fait bien reçue. Elle est en retard par rapport à votre propre calendrier, pardonnez-moi, mais pas par rapport au mien.

Question : À propos du dialogue sur la démocratie avec les islamistes.

Réponse : Le colloque auquel vous faites allusion a été un moment très fort parce qu’il nous a permis de réfléchir, tout au long d’une journée, à la signification de ce printemps arabe. Nous avons entendu des acteurs qui venaient du Sud, des Libyens, des Syriens, des Égyptiens, des Tunisiens, des Libanais, et j’en oublie sans doute. L’échange a été très fructueux.

Sur cette question de l’islamisme, je crois être clair. Qu’est-ce que c’est que l’islamisme ? S’il s’agit de mouvements politiques qui se réfèrent à l’islam, il n’y a rien de choquant à cela. Il y a eu en Europe des mouvements politiques qui se sont référés à la religion chrétienne, tous les mouvements démocrates chrétiens.

Au-delà, je constate que ces mouvements islamiques sont eux aussi traversés par des courants très différents. Il y a chez eux des extrémistes, comme partout, et je pense qu’il n’y a pas grand-chose à faire avec des extrémistes. Et puis, il y a au contraire des courants plus modérés, plus ouverts et qui, surtout, sont clairs sur le refus absolu de la violence et du terrorisme et sur l’acceptation des principes démocratiques et républicains. Eh bien avec ceux-là, il faut parler, bien entendu. Ce sont des interlocuteurs tout à fait légitimes et c’est ce que j’ai eu l’occasion de dire, samedi dernier à Paris.

Question : Est-ce que vous avez parlé avec vos interlocuteurs de la question des migrants tunisiens ?

Réponse : Oui, nous avons longuement parlé de cette question, à la fois avec le Premier ministre et le président de la République. Je crois qu’il faut la dépassionner. Il faut que chacun soit attentif aux préoccupations de l’autre. Nous comprenons les problèmes de la Tunisie et de beaucoup d’autres pays du Sud : cette immense jeunesse qui, parfois, n’a pas de travail et qui a envie d’aller travailler au nord de la Méditerranée. Il faut que vous compreniez nos propres difficultés : nous avons un taux de chômage élevé et nous n’avons pas toujours la capacité d’accueil de cette jeunesse du Sud.

Alors qu’est-ce que nous nous sommes dits ? Nous nous sommes dits que sur l’objectif à long terme, nous sommes d’accord. Quel est-il ? C’est de réduire les inégalités de développement entre le nord et le sud de la Méditerranée. C’est de permettre à la jeunesse tunisienne, comme aux autres jeunesses, de faire ce qu’elle a vraisemblablement envie de faire, c’est-à-dire de travailler au pays, de trouver du boulot ici, dans un cadre de liberté démocratique et de qualité de vie. C’est pour cela qu’il faut relancer l’Union pour la Méditerranée, donner à la Tunisie un statut avancé vis-à-vis de l’Union européenne, utiliser l’instrument de partenariat et de voisinage de l’UE. Bref, avoir une stratégie de développement à long terme.

Et puis, il y a le court terme. Le court terme, c’est la crise humanitaire qui est due en grande partie à ce qui se passe en Libye. Il y a eu 450.000 à 500.000 personnes qui ont franchi la frontière. Vous savez que la France, avec d’autres, a organisé un véritable pont aérien et maritime pour ramener une grande partie de ces populations en Égypte, dont elles étaient originaires. Il y en a certaines qui sont parties en Italie et là, il y a un problème que nous sommes en train de gérer avec nos amis italiens et aussi avec les autorités tunisiennes.

Deuxième point d’accord : l’immigration illégale. L’immigration illégale est une calamité. Calamité pour le pays d’accueil, calamité pour le pays de départ, calamité pour les personnes concernées parce qu’il s’agit d’une traite, d’une forme d’esclavagisme. Donc, il faut lutter contre l’immigration illégale. Nous sommes d’accord là-dessus et nous sommes prêts à aider nos amis tunisiens à renforcer les contrôles aux frontières, comme ceci a été décidé il y a quelques jours.

Et puis il y a l’immigration légale et je crois qu’il faut qu’on en discute. Pour ce qui me concerne, je pense qu’il y a des formes d’immigration légale qui ne doivent pas être réduites. La circulation des étudiants, en particulier, me semble une opération gagnant/gagnant, pour reprendre un vocabulaire à la mode. Accueillir des étudiants tunisiens en France, c’est bon pour leur formation, et donc pour la Tunisie, et c’est bon pour la France aussi parce que les Tunisiens qui passent un an en France, sauf cas exceptionnel, reviennent amis de la France.

Alors on va essayer de développer tout cela. Je le répète, en parlant pour trouver des solutions et non pas en s’invectivant. Je suis persuadé qu’on peut y arriver et M. Guéant est tout à fait disponible pour en parler aussi.


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