Publié le 06-03-2018

En avant première : extraits du livre de Moncef Marzouki

Notre confrère Tunisiensdumonde.com publie en exclusivité les premiers extraits du livre de Moncef Marzouki.



En avant première : extraits du livre de Moncef Marzouki

Moncef Marzouki, président depuis décembre 2011 de l’État tunisien de transition fait un bilan de la situation politique en Tunisie et tire les leçons de l’expérience de la mise en place d’une démocratie. Le président dévoile un argumentaire qui ressemble à celui d’un candidat aux futures présidentielles tandis que l’opinion publique tunisienne appelle à boycotter un ouvrage édité en France plutôt qu’en Tunisie. En voici quelques extraits thématiques.

 

Sur le modèle politique :


« Les responsables d’Ennahda plaident pour un système parlementaire en faisant le calcul de gagner les élections législatives grâce à leur implantation et à leurs moyens. Je moppose à cette idée en prônant un système mixte, dans lequel le président de la république aurait des pouvoirs égaux à ceux du Premier ministre, de telle sorte que la démocratie marche sur deux pieds et qu’aucun des deux camps ne soit tentés de céder à des dérives autoritaires. Le débat sur ce point est très vif. et s’ils s’obstinent à vouloir un régime parlementaire pur, il faudra organiser une référendum sur le sujet. Bien sûr, Ennahda pourrait théoriquement à la fois obtenir la majorité des voix au Parlement et faire faire gagner son candidat à la présidence de la république. Mais il est peu probable que la Tunisie soit dirigée par un président islamiste et un gouvernement du même bord car je ne pense pas que les électeurs feront un tel choix. »


« Il est important d’en finir avec le vain affrontement entre laïques et religieux, entre modernistes et traditionalistes, parce qu’on ne doit plus remplir les prisons alternativement avec les militants de l’un ou de l’autre bord. C’est pourquoi je tiens dans la phase actuelle à maintenir cette coalition, peut-être même après les élections. » « Mais je suis prêt à aller jusqu’à la rupture si ses dirigeants ne respectent pas les principes et les règles de la République. »

 


Sur Ennahda :


Après la déclaration de Tunis en 2005, « Islamistes modérés et laïques modérés ont commencé à travailler ensemble et à rêver d’une Tunisie qui ne serait pas islamiste mais qui reconnaîtrait l’islam comme religion officielle tout en s’appropriant le projet démocratique. De cette alliance sont exclues deux forces : les extrémistes laïques et les extrémistes islamistes. » Elle « exclut les salafistes situés au large d’Ennahda et tous les mouvements jihadistes et violents. Mais elle exclut aussi les extrémistes laïques qui s’étaient fourvoyés dans les années 90 en acceptant de soutenir la dictature. Pour ces derniers, l’islamisme se confond avec le salafisme ». Cette conception simpliste ne peut mener qu’au retour de la police politique car elle nie une partie de la société tunisienne. »


« L’alliance des forces laïques et d’une partie du spectre islamiste (…) évite une situation comme celle qu’a connue l’Algérie dans les années 90. »


« L’intrication entre la mosquée et la politique date d’une époque où n’était pas possible de faire de la politique à visage découvert, en particulier lorsqu’on était religieux. Elle n’a plus lieu d’être. Grâce au dialogue que nous avons établi depuis longtemps entre islamistes modérés et laïques modérés, nous tenons à ce caractère civil de l’état. C’est pour cette raison que nous n’avons pas mentionné la charia dans la constitution. le terme était inacceptable pour une grande partie des Tunisiens et Ennahda a accepté d’y renoncer. »


« Cela n’empêche pas que demeurent des divergences sur 4 points du nécessaire pacte fondateur de la Tunisie démocratique : l’égalité complète entre hommes et femmes, la peine de mort, l’adoption et une liberté de conscience qui pourrait aller jusqu’au changement de religion ». « Certes les dirigeants d’Ennahda ne semblent pas disposer à renoncer publiquement à ces principes mais en pratique ils sont prêts à fermer les yeux. » « On se trouve dans une situation particulière où les islamistes maintiennent leur point de vue en faveur de la peine capitale mais admettent qu’elle ne s’applique pas. » « Mais je continue à dire aujourd’hui à mes partenaires d’Ennahda que l’abolition de la peine de mort est nécessaire même si la société n’est pas encore prête pour qu’on l’inscrive dans la loi. »


« Nous n’avons pas d’islamistes tunisiens mais des Tunisiens islamistes »


« Il est pertinent de comparer les islamistes tunisiens d’aujourd’hui à la démocratie chrétienne européenne d’hier. Ennahda ressemble en effet aux partis démocrates chrétiens en Allemagne ou en Italie après la Seconde guerre mondiale. Ces partis étaient traditionalistes, conservateurs sur le plan social et économique, affichant leur référence à la religion. C’est exactement ce qui définit Ennahda. »


« Je ne crois pas qu’Ennahda pratique un double jeu comme beaucoup l’en accusent. Même quand, en octobre 2012, ont été diffusées des vidéos montrant Rached Ghannouchi discutant avec des salafistes , ses propos ne témoignaient pas d’un agenda caché d’Ennahda mais surtout du fait qu’il s’agit d’un mouvement hétérogène, dont la partie droitière rejoint les visions rigoristes des salafistes. Ce n’est donc pas un double discours mais un ensemble de discours multiples et parfois contradictoires, expression des différentes tendances à l’oeuvre dans leur mouvement. »


 


Sur les salafistes :


« Le salafisme représente la partie irréductible, non-soluble dans la démocratie, de l’islam politique. La différence entre les salafistes et Ennahda est doctrinale mais surtout sociale. Ennahda représente les classes moyennes et les classes supérieures. Les salafistes captent les frustrations et les aspirations du lumpenprolétariat ».


« Il est possible qu’une partie des salafistes soit manipulée par des partisans de l’ancien régime, mais c’est difficile à évaluer. »


« Puisque cette idéologie simpliste radicalise surtout les jeunes précarisés et défavorisés, nous serons plus efficaces dans notre combat contre ces extrémistes en relançant la machine économique et en mettant en place des politiques sociales, qu’avec un traitement purement sécuritaire. »


 

« La Tunisie multiple et complexe doit assumer son appartennace arabo-musulmane et sa modernité, refuser de sacrifier l’une à l’autre, ce qui exlut de facto les deux discours extrémistes, laïques et islamistes.Il faut rassurer les extrémistes laïques qui se sentent en insécurité en étant intransigeant sur le respect des libertés publiques en général et de la liberté d’expression. »


« Parler d’une Tunisie islamiste ou d’une islamisation de l’islamisation de la société relève tout simplement d’une imposture. »

 


 

Extraits de «L’invention d’une démocratie, les leçons de l’expérience tunisienne publiés par Tunisiensdumonde.com

 La Découverte, Collection : Cahiers Libres, 200 p
 


marzouki-300313-1.jpg

Dans la même catégorie