Publié le 06-03-2018

Mehrez Bousayene : Contre le terrorisme, l’union sacrée

« Les actes du terrorisme ne peuvent jamais se justifier quelque raison que l’on puisse faire valoir »



Mehrez Bousayene : Contre le terrorisme, l’union sacrée

Il a fallu plus de quarante martyrs parmi les militaires et les agents des forces de sécurité, et parmi les citoyens aussi, et trois assassinats politiques, Chokri Belaid, Lotfi Naguedh et Mohamed Brahmi, pour que nos Constituants décident, enfin, d’examiner en plénière le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Près de deux ans de sourdine, de débats stériles et d'atermoiements injustifiables, alors que la menace terroriste se précise de plus en plus, n'ont fait qu'augmenter son effet et redonner du souffle aux terroristes et à leurs commanditaires.

Combien faudrait-il encore de victimes pour que cette loi soit promulguée ? Pourtant, la loi de 2003 encore en vigueur, elle n'a été ni modifié ni abrogée, a été mise au placard parce que jugée trop répressive. Tant il est vrai que cette loi a, dès sa promulgation, été utilisée comme prétexte pour restreindre les libertés, bâillonner la presse et persécuter les opposants au régime, sans aucune distinction.

La menace terroriste est bien réelle

Entre-temps, le terrorisme, profitant du laxisme de l'Etat, de la complicité de certaines parties est, maintenant, à l’intérieur même de la maison Tunisie. Plus grave encore, Al Qaida s'invite chez nous !  Les Tunisiens n'ont jamais imaginé qu'un jour, les scènes choquantes du terrorisme aveugle se déroulant dans d'autres contrées et transmises par les chaines satellitaires ou relayées par les réseaux sociaux, allaient se passer sous leurs yeux. Les macabres assassinats de sang froid de nos soldats, par deux fois à Chaambi, causant à eux seuls la moitié des victimes, en plus de ceux de Sakiet Sidi Youssef, et les meurtres des agents des forces de sécurité à Goubellat, Sidi Ali Ben Aoun et j'en oublie, ont fini par raviver en nous le cauchemar vécu par nos frères algériens au cours de la décennie noire.

La dernière attaque terroriste qui a coûté la vie à une quinzaine de militaires a endeuillé tout le pays et sonné le glas, finissant par convaincre les plus dubitatifs que la menace  terroriste est bien réelle et que ce fléau, qui commence à se propager, pourrait devenir dévastateur pour le pays, s'il n'était pas jugulé à temps. Même si quelques voix osent, encore, se lever pour défendre, quoiqu’en termes voilés, les tueurs de Chaambi et ses égorgeurs. Même si quelques adeptes du terrorisme n'ont pas hésité à clamer leur joie à l'annonce du carnage, et même si certains s'entêtent à justifier l'injustifiable et à blanchir le phénomène… Malgré tout cela, la mobilisation a été à la mesure de la tragédie qui a ébranlé la conscience populaire sur les dangers du phénomène.

Tout en se posant toutes les questions à l’origine de l’émergence d’un tel phénomène, les Tunisiens se rendent de plus en plus à l'évidence que le péril est en la demeure et qu’il faut agir avec célérité. Les tragiques événements des derniers mois doivent nous interpeller tous au plus profond de nous-mêmes et nous inviter à anticiper les risques et nous unir et non approfondir encore les dissensions entre nous. Le terrorisme se trouve, aujourd'hui, associé à la criminalité et au trafic de tous genres (armes, stupéfiants, produits prohibés…) et, subséquemment, il est devenu un fléau d'une extrême gravité qui pourrait détruire les tissus politique, économique et social.
 

La lutte contre le terrorisme est la responsabilité de tous

Je ne vais pas m’étaler sur les causes du mal, elles sont connues, ont été identifiées et analysées. Je ne vais pas, non plus, désigner à la vindicte les responsables de tous bords et qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué au développement de ce fléau et son enracinement dans la société. Je ne vais pas, enfin, incriminer systématiquement ces jeunes djihadistes élargis à la faveur d’une amnistie générale promulguée à la hâte, sous la pression populaire, pour aller se terrer dans des tanières à Chaambi, ou ceux parmi eux qui ont succombé aux sirènes du djihad  en Afghanistan, en Syrie ou en Irak et revenus pour « islamiser le pays » et prendre les armes contre leurs concitoyens, car ils sont à la fois coupables et victimes. Coupables de complot contre la sureté de l’Etat et de ses citoyens et victimes d’un système nébuleux et complexe qui a érigé la mort en valeur suprême et la vie en péché. Mais je dois, par contre, appeler à la vigilance et surtout à un consensus national pour unir les efforts de tous contre ce mal galopant.

La lutte contre le terrorisme n'est pas l'apanage du seul gouvernement. Elle ne doit pas, non plus, s'inscrire, uniquement, dans la logique sécuritaire, certes primordiale en ces moments graves, mais pas suffisante, d'autant plus que les risques d'attentat ne sauraient être totalement évités. Pour y faire face, il faut mettre en place une véritable stratégie qui reposera sur plusieurs piliers: "la prévention, la protection, la poursuite et la réaction", comme l'a défini l'Union européenne. Cette stratégie qui s'inscrit dans les cours, moyen et  long termes, doit s’attaquer, d’abord, aux sources du mal, à savoir, l’endoctrinement, l’embrigadement, le financement . Elle doit aussi englober les volets économique, social et culturel dans toutes leurs spécificités. Dans cette optique, la Tunisie doit s’inspirer des meilleures pratiques, coordonner avec les pays touchés par le phénomène et notamment l'Algérie avec laquelle nous avons, en plus des affinités, des frontières communes de plus de 950 kilomètres et qui a une longue expérience en matière de lutte contre le terrorisme et des moyens logistiques importants. Elle doit, aussi, compter sur l'apport des agences onusiennes spécialisées ainsi que sur les organisations régionales, comme l’Union européenne.


Le moment est grave et il faut savoir en mesurer les conséquences. Je lance dans cette tribune un appel pour soutenir l’idée de création d’une « union sacrée contre le terrorisme ». Car, au-delà des divergences de vues et des appréciations, des clivages politiques voire idéologiques, aucune ligne rouge ne saurait être invoquée, la seule et l'unique étant la stabilité du pays et sa sécurité.  Cette «union sacrée», véritable force de propositions, dont l’objectif premier est de soutenir l’effort du gouvernement dans ce combat sans merci et d'œuvrer, avec toutes les parties concernées, au renforcement de la capacité d’action des corps de l’armée nationale et des forces de sécurité, pourrait regrouper toutes les bonnes volontés soucieuses du seul intérêt du pays. Et j’ose espérer qu’elle  ralliera autour d’elle les forces vives de la nation, bénéficiera de l’appui des organisations nationales, du soutien des médias, des intellectuels et des hommes et femmes de culture. De même qu’elle ne saurait se passer du soutien populaire, véritable levier de toute action de nature à tarir les sources du mal.


Pour l'histoire, lors du déclenchement de la première guerre mondiale, la France était divisée et fragilisée par de profondes divergences entre les différentes composantes de la société, politique, syndicale et religieuse. Mais face à la guerre, un mouvement avait été créé sous le nom de «l'Union sacrée», pour souder les Français toutes tendances confondues. Défendue par le président Raymond Poincaré, cette «Union» fut adoptée par le parlement au mois d'août 1914 et immédiatement ralliée par l'ensemble des formations politiques et des organisations syndicales.


Ne dit-on pas que « le but du terrorisme est tout simplement de semer la peur et la terreur ?  La peur mine toute confiance dans la classe politique et démoralise le public…Le terrorisme n’est pas l’expression d’une fureur incontournable, c’est une arme politique. »
 


boussayyene-020914-1.jpg

Dans la même catégorie