Publié le 06-03-2018

Interview de Mounir Troudi



Interview de Mounir Troudi

C’est un artiste hors du commun qui mélange art et humanisme. On le considère comme le bluesman le plus populaire en Tunisie et il se considère comme le chercheur le plus dévoué de la musique bédouine. Mounir Troudi est l’artiste qui réfléchit, médite et décide avant de chanter. Il nous explique à travers cette interview sa vision artistique et l’aventure qu’il a mené entre le jazz et la mémoire bédouine.

 

Tuniscope : Comment vous avez eu l’idée de choisir cette vocation musicale (jazz, blues et rythme arabo-berbère)?

 

Au début, ma carrière était presque classique. Après, je me suis posé plusieurs questions surtout en travaillant dans le spectacle de « Noujoum » qui m’a permi de critiquer des des références de la musique classique. J’ai réalisé à la cour de cette expérience que je peux chanter autrement et différemment de ce qui existe déjà. Ensuite je me suis trouvé plusieurs raisons pour choisir cette vocation musicale. Premièrement, j’ai constaté que la musique classique est du simple collage entre la musique et le texte. La deuxième raison est l’absence, en Tunisie, d’un meneur de quête ou encore de projet musical qui soit reconnu à l’échelle mondiale tel que Abdel Wahhab en Egypte. La troisième raison est l’absence de tout effort pour le développement de notre musique. La dernière raison est la domination de la musique orientale qui ne reflète pas notre identité.

 

Tuniscope : qu’est ce que vous avez ramené de nouveau dans la musique ?

 

Dans le même questionnement (dont je vous ai parlé au début), je me suis dit pourquoi nous ne cherchons pas une musique typiquement tunisienne qui n’a pas encore subit l’appauvrissement que témoigne la musique orientale ? Et comment nous pouvons penser, parler et chanter en tunisien et non pas en égyptien ?

D’après moi, il n’y a qu’une seule solution. C’est de retravailler le chant ou encore la mémoire bédouine qui comporte une musique, un rythme et une façon de chanter original et originel.

Tuniscope : Pourquoi ce choix ?

J’ai choisit la musique bédouine car elle est influencée par le caractère rude et dur des gens du sud. Leur musique reflète leur vie, leur confiance et leur fierté d’où viennent le chant et les rythmes rebelles que je cherche. En effet, ma recherche porte sur une musique qui contient une touche rythmique accessible à d’autres mémoires tribales dans l’univers tel que le Jazz. Après, j’ai fait le mélange de deux genres, jazz et bédoui dont les rythmes et les sonorités sont les mêmes. Ce mélange  a donné un nouveau genre musical qui se base sur la recherche du rythme mais surtout du texte.

 

Tuniscope : quel genre de public avez-vous ?

 

Un public engagé qui promet des belles choses même s’il n’est pas nombreux. Je suis persuadé que ce public prendra la relève dans la recherche d’une musique purement tunisienne. Une musique recherchée et engagée qui reflète notre identité et nos préoccupations.

 

Tuniscope : Quelle relation avez-vous avec le public ?

 

Pour le moment, je ne suis en relation qu’avec le public qui fait un effort pour me suivre. Autrement, je n’ai de relation qu’avec le public qui s’intéresse à ma musique. Mon public doit adopter mon projet qui se base sur la réhabilitation de la mémoire musicale tunisienne à travers une musique engagée artistiquement qui invite à une meilleure culture sociale.

 

Tuniscope : Donc vous ne voyez pas, en tant qu’artiste, la nécessité d’aller vers le public ?

 

Je pense que l’artiste est un meneur de quête ou encore un leader qui ne doit pas chercher le public. C’est le public qui doit le suivre. L’artiste doit s’adresser principalement à une élite cultivée ou encore aux intellectuels qui peuvent influencer le grand public. Il n’empêche que je laisse ma musique accessible à tout le monde sans perdre en qualité et en pertinence mais je ne cherche pas à attirer la grande masse.

 

Tuniscope : Pourtant c’est la grande masse qui a plus d’intérêt à vous suivre que les intellos qui sont déjà engagés …

 

Les intellectuels ne sont pas tous sensibles à la cause que je défend. Je rencontre tous les jours, plusieurs intellectuels qui n’approuvent aucune position face à nos problèmes actuels. Donc, je suis toujours amené à les sensibiliser et à les rappeler leur responsabilité. Je pense que c’est à eux après de faire la même chose avec la grande masse.     

Malheureusement, la scène est envahie par la musique populaire qui ne rapporte rien au simple citoyen. Ensuite, l’intellectuel a cédé la place au chanteur du mezouid qui devient le leader. Dans ce contexte, je milite pour que l’intellectuel reprenne sa place légitime dans la société et guide la grande masse à un futur meilleur .   

  

Tuniscope : Comment vous voyez le fait que vous n’avez pas de concurrents ?

 

Ce n’est pas facile du tout et c’est très fatiguant car le but est de forger une chanson alternative. Cela nécessite un travail de groupe et surtout une conviction collective.

 

Tuniscope : Dernièrement, nous voyons dans les médias des gens qui travaillent sur le même style de Mounir Troudi. Qu’est ce que vous en pensez ?

 

Il y a quelques bonnes initiatives qui me plaisent. Mais elles frôlent le commercial. En fait, ce que je reproche à ces artistes c’est qu’ils choisissent, malheureusement, la voix facile qui se limite à imiter les autres. Je ne suis pas d’accord avec cette méthode. J’invite ces artistes à rechercher une nouvelle musique qui mène à la diversité et l’enrichissement musical.

 

Tuniscope : Avez-vous des ambitions à l’échelle internationale ?

 

J’ai eu la chance de jouer dans pas mal de pays et pas mal de salles. Et bientôt j’aurai un album qui viserait un marché international. Nous sommes en train de s’organiser pour réunir mon groupe de musiciens. Car je préfére enregistrer les chansons avec les mêmes musiciens des concerts. En effet, notre musique est le fruit d’un travail démocratique où chaque membre donne sa propre approche dans le projet.

 

Tuniscope : Justement. Quelle est votre vision à propos le travail du groupe dans la musique ?

 

Je défends la démocratie et le travail collégial dans la musique. Le musicien a le droit de donner son avis et de ne pas se limiter à répéter à la lettre ce qu’on lui impose. A l’encontre de ce qui se passe à la rachidia ou aux orchestres tunisiens qui ne laissent aucune liberté au musicien surtout dans la manière de jouer la musique. Cette méthode ne mène à rien. Elle n’est pas constructive. Du coup, nos musiciens, enlacés, ne veulent plus en faire partie et quittent le domaine.

La musique est évoluée et nous devons suivre le courant. Effectivement, les méthodes ne sont plus les mêmes ce qui veut dire que nous devons laisser plus de chance à la création.        

 

Qu’est ce que vous préparez de nouveau ?

 

Je prépare quelques nouvelles chansons surtout à propos des évènements de Gaza. En effet, je pense que nous ne devons pas oublier la cause palestinienne et le peuple palestinien qui souffre en permanence sur sa terre. Le travail sur cette question ne doit pas se limiter sur une petite période d’actualité. C’est pour cette raison que mes nouveaux textes traitent ce sujet et militent contre la guerre.  

 

Tuniscope : un dernier mot pour les tuniscopiens.

 

Merci pour cette sympathique invitation. Je souhaite une bonne continuation avec ce portail magnifique. Pour les tuniscopiens !  Restez en ligne sur Tuniscope ! 

 Henda

      

 

 


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