Publié le 24-08-2021

Anis Marrakchi : La Tunisie n’a jamais été un Etat de droit, mais elle a du droit

Diplômé de l’Ecole Polytechnique, de l’Ensae et de Sciences Po Paris, et établi à Paris, Anis Marakchi a donné son point de vue concernant les décisions de Kais Saied, estimant que 'malgré les dénégations du Président et de son entourage, il a choisi de sortir complètement et totalement de l’ordre légal et constitutionnel.'



Anis Marrakchi : La Tunisie n’a jamais été un Etat de droit, mais elle a du droit

‘’Beaucoup critiquent Kais Saied par rapport à l’illégalité de ses décisions.
Ils ont raison. Malgré les dénégations du Président et de son entourage, il a choisi de sortir complètement et totalement de l’ordre légal et constitutionnel. Aujourd’hui, la parole de Kais Saied est la seule vraie norme, et c’est de fait une norme supérieure à toutes les autres.
Ils sont cependant tout à fait à côté et en dehors du moment. Car le peuple est souverain, et il a rejeté absolument tout l’édifice juridique et institutionnel. Car cette légalité, ces lois, ont perdu toute légitimité.
A.V. Dacey définissait déjà en 1915 l’Etat de droit comme suit :
« Cela signifie, en premier lieu, la suprématie ou la prédominance absolue du droit régulier par opposition à l'influence du pouvoir arbitraire, et exclut l'existence de l'arbitraire, de la prérogative ou même d'un large pouvoir discrétionnaire de la part [du gouvernement et de l’administration].
Cela signifie, aussi, l'égalité devant la loi, ou la soumission égale de toutes les classes à la loi ordinaire du pays administré par les tribunaux ordinaires ; l'«Etat de droit» en ce sens exclut l'idée de toute exemption [de quiconque] du devoir d'obéissance à la loi qui régit les autres citoyens. »
Cette définition est l’antithèse de la Tunisie, elle montre clairement à quel point elle n’a jamais été un Etat de droit, ni avant ni après 1881, ni avant ni après 1956, ni avant ni après 1987, ni avant ni après 2011.
Le pouvoir arbitraire et discrétionnaire a toujours été la règle en toute occasion.
Si quelqu’un devait affirmer que les tunisiens sont égaux devant la loi, personne ne prendrait la peine de le contredire, il ne recevrait que des rires moqueurs et entendus.
La Tunisie n’a jamais été un Etat de droit. Mais elle a du droit, et pas qu’un peu. Du droit pour instituer des immunités, du droit pour accorder des privilèges d’ancien régime, du droit pour légaliser la captation de la rente et la monopolisation, du droit pour privilégier certains corps intermédiaires inféodés, du droit qui donne encore aujourd’hui des obligations différentes dans les « terres d’Ifrikia » et dans les « terres de Doukhania », du droit pour légitimer le vol pur et simple, du droit pour limiter et retarder la reconnaissance de la propriété des terres, du droit pour rendre la condition du fermier aussi misérable que possible, du droit pour emprisonner sans raisons et sans preuves, du droit pour rejeter dans l’informalité les métiers les plus simples. Du droit, la Tunisie en a et en a toujours eu.
Des siècles de lois et de droit. Et des siècles de négation des Droits les plus naturels. Comme écrivait Goethe :
« Les lois et les droits se succèdent
comme une éternelle maladie ;
ils passent de génération en génération,
se répandent et empirent furtivement.
Raison devient folie, bienfait devient malédiction :
tes ancêtres sont ta perte !
Car des droits qui sont nés avec nous, hélas!
Il n'en est jamais question, »’’ a cité Marakchi via son compte officiel.
 



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