Publié le 06-03-2018

Dowaha de Raja Amari : drame d’une famille bercée par les secrets

Après une tournée dans de nombreux festivals de cinéma en Europe et en Asie et après avoir participé au Festival International du Caire, le dernier long-métrage de Raja Amari



Dowaha de Raja Amari : drame d’une famille bercée par les secrets

Après une tournée dans de nombreux festivals de cinéma en Europe et en Asie et après avoir participé au Festival International du Caire, le dernier long-métrage de Raja Amari, « Dowaha-Les secrets », marque sa deuxième escale en Afrique en étant enfin projeté en Tunisie, le pays natal de sa réalisatrice.

 

« Aïcha (Hafsia Herzi), Radhia (Sondess Belhassen) et leur mère (Wassila Dari) vivent à l’écart du monde dans une maison à l’abandon dans laquelle la mère a déjà travaillé comme domestique… ». Rien qu’en lisant cette partie du synopsis du film, nous nous sentons comme dans l’univers du premier court-métrage de Raja Amari « Avril » (1998, histoire de Amina, dix ans qui est engagée comme domestique de deux sœurs solitaires, Dalida et Farida. Peu à peu le regard d'enfant d'Amina percera le secret du comportement des deux soeurs). Ce sentiment s’est confirmé à la sortie de la projection presse dédiée à « Dowaha » le lundi 30 novembre 2009 au CinémAfricArt.

 

Si dans « Avril », Raja Amari effleure le drame psychologique, dans « Les secrets », elle est en plein dedans. La simplicité et la sobriété apparentes du décor et des dialogues n’est que la partie émergente de l’iceberg de la vie de ces trois femmes. Et le mot iceberg est loin d’être gratuit tant l’univers du film est glacial, même s’il est filmé en saison douce. La froideur des relations qu’entretiennent ces trois femmes entre elles et avec le monde extérieur est accentuée par la profondeur de leur isolement dans le sous-sol d’un vieux château abandonné.

 

La raison derrière cet isolement est un lourd secret sorti des entrailles de Radhia et sauvagement gardé dans les entrailles du château. Ses murs protègent le ou les secrets et les protègent elles. Ces dernières mènent un quotidien qui « vacille le jour où un jeune couple vient s’installer dans la maison. Les trois femmes cachent leur existence aux nouveaux venus de peur d’attirer l’attention sur leur situation et d’être chassées ». Mais, cette existence ne tardera pas à être découverte et c’est là que tout bascule. L’arrivée de Ali (Dhafer Abidine) et Salma (Rim El Benna) va tout transformer dans leurs vie . Salma et son beau petit ami Ali sont discrètement observés par Aïcha, Rhadia et leurs mères. Dès lors, chacune d’entre elles développe un lien secret et imaginaire avec les nouveaux venus : Aïcha admire la beauté et la fraîcheur de Salma à laquelle elle veut ressembler, Rhadia voit ses désirs de femme surgir à la vue de Ali et la mère veut s’en débarrasser le plus rapidement possible.  

 

Leur rencontre qui va s’avérer apocalyptique est en fait la rencontre de deux mondes que tout oppose : celui de l’ombre et de la privation contre celui d’une vie au grand jour et sans gêne. Deux existences qui se développent tout d’abord parallèlement entre le sous-sol et l’étage du château avant de se rentrer dedans quand les occupants du sous-sol prennent Salma en otage. Celle-ci se révolte et essaye de s’échapper à plusieurs reprises en vain avant de se laisser aller et de nous donner l’impression d’adhérer à l’aliénation féminine collective. Elle nous prouve plus tard qu’elle est loin d’avoir perdue ses repères. C’est ainsi qu’elle va aider, à ses dépens, à ce que le secret enterré sorte au grand jour et se retourne contre ses ensevelisseuses.  

 

Aux alentours de la séquence de la prise d’otage, qui coïncide avec la deuxième moitié du film, « Dowaha » devient un vrai chef d’œuvre du point de vue de la description cinématographique de la psychologie des personnages. L’intrusion de Ali et surtout de Salma dans la vie du château va directement viser l’équilibre que ces femmes déséquilibrées se sont crues crées et la pseudo-stabilité dans laquelle elles se sont enfermées derrière l’instabilité de leurs esprits. La subtilité avec laquelle Raja Amari met à nu l’intérieur des quatre femmes est à saluer. Tout est dans la sobriété (lumière sombre, plans fixes, longues séquences) et, avec le peu de dialogues, dans le non-dit. La manière de donner au château les caractéristiques d’un personnage à part entière, le balancement entre la retenue abusive des sentiments et l’explosion excessive des réactions et la chute imprévisible du film ont réussi à lui donner un rythme soutenu et une intrigue maintenue intacte jusqu’au dernier moment. 

 

Malgré les quelques failles dans le scénario et les minuscules hésitations dans la réalisation, « Dowaha » reste une œuvre très respectable d’une auteur dont le parti pris artistique s’affiche clairement et correctement. Dans « Les secrets », nous avons vu un drame psychologique comme rares ont été faits en Tunisie mais aussi un bel hommage à des œuvres marquantes du 7ème art tunisien et étranger comme « Volver » de Pedro Almodovar et « Les silences du palais » de Moufida Tlatli.

 

 

Narjes


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