HRW : Pour juger les crimes du passé, il faut réformer le cadre juridique

La première affaire de torture à passer en justice en Tunisie depuis l’éviction du président Zine El Abidine Ben Ali met en lumière le besoin de s’attaquer aux insuffisances du cadre législatif pour juger les crimes de torture, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Beaucoup d’autres dossiers de torture seront probablement déposés contre l’ex-président Ben Ali et ses complices, si d’autres victimes se présentent pour porter plainte.



HRW : Pour juger les crimes du passé, il faut réformer le cadre juridique

Human Rights Watch s’est penché sur ce premier procès pour torture ainsi que sur les structures et procédures judiciaires actuelles du pays. Ses recherches ont permis d’identifier un certain nombre de problèmes que la Tunisie devrait régler pour rendre justice aux victimes de crimes pendant l’ère Ben Ali et au-delà, a déclaré Human Rights Watch.


« La torture était endémique dans les prisons tunisiennes pendant les 23 ans de présidence de Ben Ali, et a ruiné l’existence de milliers de personnes », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Poursuivre efficacement les personnes coupables de torture exige un cadre judiciaire adéquat ainsi que la volonté politique d’en finir avec l’impunité ».


Le 12 avril 2012, une cour d’appel militaire a réduit les peines de prison infligées à l’ancien ministre de l’Intérieur, Abdallah Kallel, et à trois autres ex-officiers des forces de sécurité, pour l’infraction de « violences contre autrui ». Le tribunal a maintenu les peines de prison prononcées contre Ben Ali et quatre autres officiers qui avaient été jugés et condamnés par contumace pour la même infraction.


L’affaire a exposé le manque de volonté politique, de la part des autorités tunisiennes, pour exiger l’extradition de Ben Ali d’Arabie saoudite, afin qu’il soit jugé pour des violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Ben Ali s’est enfui en Arabie saoudite le 14 janvier 2011.


Quand Ben Ali était président, les autorités ont pratiqué la torture de façon systématique et à toutes les étapes du processus judiciaire, depuis l’arrestation et l’interrogatoire de police jusqu’à l’emprisonnement après condamnation, comme le montre l’importante documentation réunie par des organisations de défense des droits humains tunisiennes et internationales.


Le crime de torture a été inclus dans le droit tunisien en 1999, conformément à la loi n°89 du 2 août 1999. L’Assemblée nationale constituante devrait harmoniser le droit tunisien avec le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) en intégrant les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide dans les lois tunisiennes existantes. Pour cela, il faudrait soit réviser le code pénal, soit adopter une loi spécifique de mise en œuvre, a déclaré Human Rights Watch. L’Assemblée devrait aussi inclure dans le droit tunisien les diverses formes de responsabilité criminelle énoncées dans le droit pénal international.


Le 12 avril 2012, la cour d’appel du tribunal militaire de Tunisie a réduit de moitié les peines de quatre ans de prison prononcées le 29 novembre 2011 par le tribunal militaire permanent de Tunis à l’encontre de Kallel, ministre de l’Intérieur sous Ben Ali de 1991 à 1995 ; de Mohamed Ali Ganzoui, directeur des services spéciaux du ministère de l’Intérieur de 1990 à 1995 ; et des officiers des forces de sécurité Abderrahmane Kassmi et Mohamed Ennacer Alibi. La cour d’appel a également confirmé les peines de cinq ans de prison pour Ben Ali et les quatre autres inculpés condamnés par contumace.


Tous les accusés ont été reconnus coupables d’avoir, en 1991, « usé ou fait user de violences envers les personnes » de 17 officiers de haut rang, qui étaient détenus et accusés de comploter avec le parti islamiste, Ennahda, contre le président Ben Ali. Les 17 hommes faisaient partie des suspects de l’affaire dite « de Barraket Essahel », d’après le nom de la ville où les comploteurs étaient accusés de tenir des réunions secrètes. Les interrogateurs de ces officiers les auraient volontairement soumis à une douleur physique aigue pouvant être qualifiée de torture, selon le droit international. Pourtant les inculpations pour torture ont été abandonnées par le procureur militaire dès le début du procès.


Le gouvernement tunisien devrait formellement demander l’extradition d’Arabie saoudite de l’ancien président afin qu’il puisse rendre des comptes pour les graves violations des droits humains qui ont été commises sous son régime, a déclaré Human Rights Watch. En plus de l’affaire de Barraket Essahel, Ben Ali est également jugé par des tribunaux militaires pour le meurtre de manifestants pendant le soulèvement tunisien. Il a déjà été condamné par contumace pour divers crimes financiers. Les autorités devraient aussi rechercher les quatre autres officiers qui ont été condamnés pour avoir usé de violences dans l’affaire de Barraket Essahel et dont on ignore où ils se trouvent.
 

Les recherches de Human Rights Watch ont permis d’identifier cinq points sur lesquels le gouvernement doit agir pour rendre justice aux victimes des crimes de l’ère Ben Ali et pour prévenir de nouveaux crimes. Le premier est de montrer la volonté politique de faire extrader Ben Ali.


Le second point implique que ces procès aient lieu dans des tribunaux civils et non pas militaires, conformément aux critères internationaux. La Tunisie ne devrait pas conférer aux tribunaux militaires la compétence de juger les violations des droits humains commises par les forces de sécurité sur des civils, comme cela s’est produit dans le procès de Kallel et de ses coinculpés, a déclaré Human Rights Watch. Tous les procès doivent aussi répondre aux critères internationaux de procès équitable, notamment donner aux inculpés une possibilité raisonnable de préparer leur procès et de questionner les preuves et témoins contre eux.


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