2018-03-06 نشرت في

Interview exclusive : Nicolas Beau à propos de La régente de Carthage

La régente de Carthage a d'une certaine façon fait partie de la révolution tunisienne. Le livre de Nicolas beau était connu de tous, même de ceux qui ne pouvaient y avoir accès. Il faisait partie de ces écrits qui passaient la frontière cachés dans les bagages des militants de la liberté d'expression.



Interview exclusive : Nicolas Beau à propos de La régente de Carthage

Il représentait aussi l'auto-censure infligée aux Tunisiens, dont certains osent dire aujourd'hui que, même lors de voyages en France, ils n'osaient l'ouvrir. Il a été brandi par certains manifestants telle une  accusation irréfutable de la corruption et de la censure.


Le 22 janvier dernier, jour de la levée de la censure des entrées d'écrits dans le pays, deux noms revenaient dans toutes les bouches : La régente de Carthage et Le canard enchaîné en Tunisie ! Comme youtube et dailymotion le jour de l'ouverture du Web, ils étaient le symbole d'une grande respiration libérée.

Ancien journaliste du Canard enchaîné et co-auteur avec Catherine Graciet de La régente de Carthage, la main basse sur la Tunisie, Nicolas Beau cumule. En 1999, il avait déjà écrit avec Jean-Pierre Tuquoi Notre ami Ben Ali, l'envers du miracle tunisien, où il analysait l'indulgence sans limite dont le dictateur bénéficiait de la part des Etats européens et tout particulièrement de la  France.

Après onze années d'interdiction de territoire, Nicolas Beau revient en Tunisie. Il dit vouloir d'abord retrouver ses amis, sentir l'air purifié du pays, rencontrer la nouvelle Tunisie en marche. Il signera ses livres dans les libraires de Tunis à partir du 18 février. Tuniscope a souhaité lui poser quelques questions avant ce grand moment.


Leïla Ben Ali avait porté plainte contre vous et Catherine Graciet, avec qui vous avez écrit La régente de Carthage, pour que le livre soit interdit en France. Quels étaient ses arguments pour tenter de faire censurer votre livre ?


Leila Ben Ali avait porté plainte contre nous pour atteinte à la vie privée et diffamation. Elle nous reprochait notamment de l'avoir dépeinte comme un femme de mauvaise vie. Ce qui n'était

pas exactement le cas. Autant nous avions dénoncé ses agissements au Palais de Carthage, sa cupidité, son fonctionnement maffieux et les avantages indus dont bénéficiait son clan, autant nous avions retracé sa vie avant sa rencontre avec Ben Ali en nous démarquant de certaines rumeurs qui la présentaient comme une prostituée. Disons, en souriant, qu'elle n'avait pas compris que notre livre cherchait à réhabiliter son image, du moins dans la première partie de sa vie...

Votre site Bakchich était évidemment aussi censuré par Amar 404 ?

Le site Bakchich était censuré en Tunisie. Et ses journalistes interdits de territoire. Y compris

une de nos collaboratrices, jeune journaliste débutante qui, en 2007, fut renvoyée de Tunis sans avoir l'autorisation de mettre le pied sur le sol tunisien, alors qu'elle n'avait jamais écrit une seule ligne sur le pays !


Depuis combien de temps étiez-vous interdit de territoire tunisien ?

J'étais interdit de Tunisie depuis 1999 et la publication du livre Notre ami Ben Ali. Puis, j'ai bénéficié, si l'on peut dire, d'une seconde interdiction de territoire avec La régente de Carthage. J'ai eu aussi la faveur de croiser quelques barbouzes de Ben Ali qui faisaient parfois le gué dans une voiture banalisée près de mon domicile. Je peux vous dire que nos échanges furent du genre brutal.


Comment avez-vous mené vos enquêtes en étant en France ?

Surtout par des rencontres avec des Tunisiens de passage ou des exilés. J'avais parfois le sentiment, en ne rencontrant que des opposants, d'être trop sévère avec le régime. Ce qui nous revient maintenant de la population tunisienne me démontre que je n'ai pas été assez critique dans mes deux livres pour ce qui était devenu une dictature mafieuse. J'essaie de suivre désormais l'actualité tunisienne sur mon blog : http://nicolasbeau.blogspot que je vais alimenter pendant mes futurs séjours en Tunisie.

Vous allez enfin rencontrer vos lecteurs de Tunisie et ceux qui ne vous ont pas forcément encore lu mais pour qui vous représentez la vérité et le courage. Qu'attendez-vous de ces rencontres ?

Je ne représente ni la vérité ni le courage, j'ai fait mon métier, et un peu plus quand j'ai

tenté d'aider mes amis tunisiens opposants autrement plus courageux que moi. Ce sont mes collègues qui étaient en France qui ont été particulièrement déficitaires dans leur suivi de la Tunisie.

J'attends d'abord de mes rencontres des moments de bonheur après tant d'année d'obscurantisme. Je vais pouvoir travailler normalement en interrogeant les citoyens tunisiens, enfin acteurs de leur histoire.

La presse tunisienne est en ébullition et des débats se tiennent sur le rôle et même les compétences des journalistes du pays. Comment, vous, définiriez son rôle en général, mais aussi dans la nouvelle Tunisie ?

La presse, partout, doit être évidemment indépendante, y compris des nouveaux gouvernants, même si les liens construits pendant la résistance à l'oppression ont pu créer des solidarités et des amitiés. Sans doute ne faut il pas être trop exigeant sur les premières initiatives du pouvoir aujourd'hui en place, car il existe une phase d'apprentissage du pluralisme démocratique. De ce point de vue, la presse française, globalement inféodée au pouvoir ou prenant une posture d'opposant systématique n'est pas un modèle.

 

Justement, que pensez-vous de la manière dont la presse française a traitée cette
révolution ?

La presse française a traité le renversement de Ben Ali. Depuis, elle s'est à nouveau assoupie. Bien sûr, l'actualité égyptienne explique un peu cette indifférence, mais l'essentiel n'est pas là : les dossiers du monde arabe et méditerranéen ne sont plus suivis à Paris.


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