Publié le 06-03-2018

Interview avec M. Kamel Morjane, ministre des Affaires étrangères

Soucieux de prendre la mesure des perspectives de relance de l’économie nationale et du processus de développement du pays, La Presse a cru utile de recueillir l’avis de ce diplomate de carrière qu’est M. Kamel Morjane, notre actuel ministre des Affaires étrangères, sur la place qu’est en droit de revendiquer aujourd’hui la Tunisie, forte d’une image rénovée de démocratie pluraliste, ouverte sur son environnement, où s’épanouissent avec force les libertés et les droits de l’Homme.



Interview avec M. Kamel Morjane, ministre des Affaires étrangères

Fruit d’une révolution populaire sans leader, cette nouvelle image de la Tunisie est sans doute l’acquis le plus précieux qu’il appartient et revient à tous, sans exclusive, de préserver, d’alimenter et de renforcer tous les jours.


M. Morjane a, à cet égard, confirmé le trait éminemment positif de l’image dont jouit désormais la Tunisie qui vient prolonger les réactions favorables de la majorité des pays même si, reconnaît-il, ces réactions ont été, dans certains cas, mitigées, parfois teintées de prudence, de peur ou de crainte de voir la révolution tunisienne, qui force l'admiration, se propager à d’autres pays.


C’est ainsi que la majorité des pays, plus particulièrement les pays occidentaux, encouragent l’expérience démocratique tunisienne et «l’image d’un pays démocratique, tolérant et modéré». «Les régimes peuvent changer mais les partenaires stratégiques ne changent pas. Les données de la géopolitique et de la géostratégie sont les mêmes», souligne le ministre des Affaires étrangères, en dépit des réserves émises par certains pays frères.
La Tunisie bénéficie ainsi d’un nouveau statut à l’échelle internationale et pour M. Morjane, ce nouvel état de fait autorise à estimer que la Tunisie n’a plus besoin aujourd’hui de négocier un statut avancé avec l’Union européenne, celui-ci étant acquis. Ce nouvel état de fait ouvre de nouvelles perspectives à la coopération bilatérale et multilatérale et rend nécessaire, souligne M. Morjane, une révision de l’approche de notre diplomatie et du profil de nos diplomates; ce qui va changer, ce sont la mentalité et les méthodes de travail. Une nouvelle approche diplomatique qui tient compte de la nouvelle réalité politique du pays, de ses nouvelles exigences de développement et qui reflètent la diversité du paysage politique national, entendu que, indépendamment de leur appartenance et de leur sensibilité, les diplomates sont tenus de porter la voix et la position officielle de la Tunisie. 
S’agissant des représentants de la Tunisie à l’étranger, le ministre des Affaires étrangères annonce un mouvement dans le corps diplomatique dans le but de refléter la diversité au sein du gouvernement d’union nationale et du pays. Ainsi, il a été procédé à la constitution d’une commission de réflexion chargée de proposer méthodiquement au Président de la République provisoire, ainsi qu’au Premier ministre, une nouvelle liste d’ambassadeurs de Tunisie auprès de pays frères et amis avec la priorité aux cadres du MAE.


L’accent sera, à cet égard, particulièrement mis sur la diplomatie économique. Il faut, en effet, redonner confiance aux investisseurs étrangers pour qu’ils viennent investir en Tunisie, il faut que l’activité économique reprenne afin de répondre aux demandes de ce peuple qui s’est révolté sur une base certes politique mais également sur la base de considérations économiques et sociales. L’objectif aujourd’hui est de réaliser le rêve du peuple tunisien et son aspiration à plus de liberté, de dignité et de justice sociale.


Abordant la question des prochaines présidentielles, M. Morjane nous apprend qu’il a déjà contacté le secrétaire général de l’ONU afin de bénéficier de l’appui et de l’expertise de cette institution pour garantir des élections libres et transparentes.
Par ailleurs, l’ONU apportera son savoir-faire aux deux commissions nationales chargées de l’investigation sur la corruption et la violation.
Le devoir de tout le monde, martèle sereinement M. Morjane, est de donner à cette révolution populaire, qui n’a pas de leader et qui est réussie au niveau de son exécution, un contenu et surtout de veiller à ne pas la laisser s’effriter. Les institutions de l’Etat doivent reprendre leurs activités normales.
«L’insistance que certains mettent à demander au Premier ministre de revoir la composition actuelle du gouvernement d’union nationale dont j’étais le premier, vendredi 14 janvier, à demander la formation, ne me gêne pas. Je suis prêt à partir à n’importe quel moment. L’essentiel pour moi est de voir se concrétiser le rêve et la volonté du peuple, avec ou sans moi.


Aujourd’hui, je souhaite qu’il y ait un accord sur un vrai gouvernement national, être d’accord sur un principe : l’avenir de la Tunisie doit être bâti par tous les Tunisiens, sans exclusive, toutes appartenances politiques et obédiences confondues». L’essentiel, insiste M. Kamel Morjane, est de perpétuer l’esprit de réforme, allant jusqu’à avancer que les islamistes sont des Tunisiens comme tous les autres. Quel que soit le courant, s’il ne doit y avoir ni exclusive ni exclusion, il est impératif que l’esprit républicain, le respect de la Constitution et l’acceptation de l’autre soient la règle pour tous. C’est le premier message de cette révolution.


Et le ministre est serein, «tout le monde sait d’où je viens, confie-t-il, et si j’ai démissionné de mes responsabilités partisanes, je n’en oublie pas que je descends d’un père patriote destourien. Le souvenir d’un enfant de moins de quatre ans assistant, le 10 février 1952, à l’arrestation de son père par la gendarmerie française ne me quitte jamais. Cela a marqué mon parcours militant. Le RCD n’est pas le Destour, et de toute façon, c’est maintenant du passé». Et M. Morjane de nous souffler son intention de fonder un nouveau parti politique, conforme à l’esprit inauguré par la Révolution tunisienne. Un parti libéral social jouant pleinement le jeu démocratique. Une sorte de parti centriste prônant le consensus et le compromis.



Source : La Presse


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