Publié le 22-10-2025
Quand le trottoir devient un tribunal : l’Allemagne se penche sur le catcalling
En Allemagne, la question du harcèlement de rue revient sur le devant de la scène juridique. Bien que les gestes ou propos à caractère sexuel non désirés soient monnaie courante pour de nombreuses femmes, ils ne sont toujours pas explicitement punis par le Code pénal. Le Parti social-démocrate (SPD), actuellement au pouvoir, souhaite remédier à ce vide législatif.

À ce jour, l’article 185 du Code pénal allemand (StGB) sanctionne uniquement les « insultes », c’est-à-dire les paroles ou attitudes portant atteinte à la dignité personnelle. Ces faits peuvent entraîner une amende ou une peine d’emprisonnement allant jusqu’à un an. Cependant, cette loi ne prend pas en compte les « compliments déplacés », sifflements, ou remarques sexuelles non sollicitées, regroupés sous le terme de « catcalling ». Ces comportements échappent aux infractions sexuelles existantes, qui concernent surtout le contact physique non consenti.
Pour la députée Sonja Eichwede (SPD), ces actes relèvent d’une forme de violence et peuvent pousser les femmes à éviter certains lieux publics. Le ministère de la Justice, dirigé par Stefanie Hubig, examine actuellement comment combler cette lacune.
L’opposition CDU/CSU, tout en reconnaissant la gravité du phénomène, considère qu’une réforme pénale n’est pas forcément la solution. Selon Susanne Hierl, experte du parti, ces comportements sont certes répugnants, mais une nouvelle loi pénale ne serait pas la réponse la plus adaptée.
Le débat n’est pas nouveau : dès 2019, la plateforme Catcalls of Berlin avait sensibilisé l’opinion en inscrivant sur les trottoirs les propos subis par des femmes. En 2020, une pétition adressée au Bundestag avait recueilli plus de 70 000 signatures réclamant la criminalisation des propos sexuels non souhaités.
Une étude du KFN en 2021 a révélé que 40 % des femmes évitent certains endroits et 8 % modifient leur tenue vestimentaire à cause du harcèlement verbal. Pourtant, aucune enquête nationale officielle ne dresse encore une image complète du phénomène.
Sur le plan judiciaire, les tribunaux allemands ont jusqu’ici interprété l’insulte de manière très stricte. En 2017, une phrase à connotation sexuelle adressée à une jeune fille n’a pas été jugée pénalement répréhensible, contrairement à certaines insultes verbales classiques.
Le professeur Mohamad El-Ghazi, spécialiste de droit pénal à l’université de Trèves, estime que le droit pénal doit rester une mesure de dernier recours, privilégiant l’éducation et la prévention.
De son côté, l’Association allemande des femmes juristes (djb) suggère d’étendre l’interprétation juridique de l’insulte afin d’y inclure les gestes ou propos à caractère sexuel non désiré.
À titre comparatif, plusieurs pays européens disposent déjà de cadres juridiques plus stricts :
– Belgique (2014) : le sexisme en public est punissable ;
– Portugal (2016) : le harcèlement verbal sexuel est un délit ;
– France, Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni (2023) : lois similaires existantes ou en cours d’adoption.
Le SPD espère présenter un projet de loi au Bundestag lors de cette session, s’inspirant des expériences étrangères. Reste à voir si l’Allemagne franchira le pas vers une reconnaissance juridique claire du harcèlement de rue, tout en conciliant liberté d’expression et protection des victimes.