Publié le 06-03-2018

Interview de Patrick-Ali Elouarghi, promoteur de Dar Hi à Nefta, annonçant la fermeture prochaine de son établissement

L’hôtelier, Patrick-Ali Elouarghi, de père tunisien et mère espagnole, était très enthousiaste au lancement en 2010 de  son hôtel de charme à Nefta. Trois ans après il déchante et nous annonce la fermeture prochaine de son établissement.



Interview de Patrick-Ali Elouarghi, promoteur de Dar Hi à Nefta, annonçant la fermeture prochaine de son établissement

Dar Hi,  lancé en 2010, fait régulièrement la une des médias à l’étranger. Pourtant aujourd’hui, vous décidez de tout arrêter. Pourquoi cette décision radicale ?


Patrick Elouarghi : Depuis l’ouverture de Dar HI en 2010, le mois de la révolution tunisienne, nous avons tout fait pour maintenir notre cap et cela malgré les difficultés récurrentes. Nous avons relevé le challenge de rester ouvert, de faire parler de nous et de la Tunisie dans la presse internationale, de faire venir des personnalités, mais surtout de maintenir notre équipe sur place malgré les soubresauts et les événements qui handicapaient lourdement notre commercialisation.


Dar hi a ouvert la voie d un autre tourisme pour la Tunisie. La goutte qui a fait déborder le vase est le chantage et la pression que nous fait subir la Steg. Aujourd’hui, nous nous sentons abandonnés par les autorités et notamment celles du tourisme. Nous ne voulons pas de passe droit  mais là nous subissons clairement une injustice. Nous n’avons plus la force de lutter !
 

 Vous évoquez une série d’engagements pas respectés par vos partenaires, les autorités du tourisme et l’Etat tunisien. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
 


Le projet Dar hi a couté plus de 5 millions de dt , nous avons investi plus de 60% en fonds propres, ce qui est assez exceptionnel en Tunisie. En général,  les investisseurs n’avancent au grand maximum que  40%  d apport. Nous avons donc assumé notre investissement et n’avons pas abusé des crédits ni des fonds publics.


Nous sommes hôteliers depuis 15 ans en France, nous avons investi toutes nos économies et notre cœur dans Dar HI.
 


Pour tout projet hôtelier qui se crée dans le sud tunisien, une aide de développement du ministère du tourisme est allouée aux investisseurs. Cette somme doit être versé et soldée à l’ouverture de l’établissement. Cela fait trois ans que nous attendons cette subvention ainsi que des remboursements de tva.
 

Par ailleurs, nous avons été soumis aussi à des entraves successives (contrôles fiscaux, blocages administratifs, etc. ) dans le but manifeste de nous faire abandonner.
 

Nous nous sommes montrés très patients et conscients des difficultés économiques que traversait  la Tunisie. Dans ces conditions, nous sommes aujourd’hui révoltés que la STEG, entreprise étatique, n’ait pu tenir compte de notre situation et ait décidé de nous couper l’électricité en plein été alors que des clients étrangers séjournaient dans l’hôtel. Nous avons alerté la STEG que la subvention allait être versée début juillet mais le directeur régional a été intransigeant et n’a rien voulu savoir. Je me dois de préciser que notre dette vis à vis de la STEG est minime par rapport a ce que nous doit l’Etat tunisien.


De plus, j’aimerai qu’on  m’explique comment un hôtel de 18 chambres qui ne travaille  pas à plein régime et qui fonctionne avec de la géothermie et des panneaux solaires, peut se retrouver avec une facture énergétique de  30 000 dt. C’est excessif et irrationnel !


A la fin, tout ceci finit par compromettre sérieusement la rentabilité de notre établissement.
 


 

Contrairement  aux discours successifs des officiels du tourisme visant à promouvoir un tourisme plus qualitatif, votre situation illustre qu’il est manifestement  compliqué d’exister en dehors du tourisme de masse à Hammamet, Sousse ou Djerba. Est-ce votre sentiment ?


Je pense que  DAR HI a ouvert la voie d’une alternative au tourisme de masse qui est en crise en Tunisie depuis plusieurs années.


C’est aussi un projet « anti-Marrakech » qui montre que le tourisme tunisien ne doit pas essayer de copier le modèle marocain mais au contraire inventer une nouvelle forme de tourisme mêlant harmonieusement la tradition, le contemporain et l’écologie.


La variété et la diversité du paysage de la Tunisie permettent d’explorer sans risques cette alternative.


Sur le papier et dans le discours officiel, le tourisme tunisien affiche cette volonté mais la réalité est toute autre…Rien n’est fait pour aider et accompagner les hôteliers indépendants…j’observe,  depuis le début de mon aventure, un vrai décalage avec la réalité.


En temps que franco tunisien,  je rêvais d’exercer un rôle moteur dans cette  nouvelle voie du tourisme en Europe. Dans cet état d’esprit,  je me suis placé à la disposition « bénévole » des ministres successifs du tourisme depuis 3 ans  mais a posteriori je fais le constat que  la communication de masse et les onéreuses campagnes de promotion grand public l’emportent toujours  sur le travail de niche et le lobbying ciblé auprès des nouveaux segments.


 La dimension sociale et humaine de Dar Hi est précieuse dans cette région déshéritée. Que vont devenir ces familles (salariés, sous traitants…) que vous faisiez vivre ?
 


Nous avons su créer un lien social unique dans notre hôtel et dans la ville de Nefta. En effet, nous basons notre modèle sur le respect et sur le management participatif de notre équipe …je dirais même notre famille…oui ; car c’est comme cela que nous considérons  les personnes qui travaillent à DAR HI.


Aujourd’hui, nous sommes tristes pour eux  mais nous n’avons plus les moyens de faire face à nos responsabilités.. DAR HI fait partie intégrante de Nefta et fait travailler depuis plusieurs années des centaines de personnes (artisans, épiciers, agriculteurs, agence de voyages, 4X4, taxis, calèchiers, boulangers, etc .).  DAR HI avait réussi aussi à amorcer une belle histoire humaine avec certaines artisanes de Nefta créant des tapis pour une collection équitable vendue en Europe par le célèbre site « made in design »… Malheureusement à  Nefta, la fermeture de DAR HI  va faire des victimes ! Bref un grand gâchis !


Le Tunisien de l’étranger et patriote que vous êtes regrette t il d’avoir investi en Tunisie ?
 


Je ne peux pas regretter d’avoir investi dans mon deuxième pays car je suis quelqu’un de positif et je regarde toujours devant. J’ai lancé cet hôtel pour faire plaisir à mon père qui rêvait que je revienne investir en Tunisie.


Néanmoins, je suis un peu amer d’avoir entrainé mon associé français dans une aventure qui ne prend  pas la direction souhaitée.


Votre  décision de fermer Dar Hi est elle irrémédiable ? Qu’est ce qui peut encore vous faire changer d’avis ?
 


Cette décision de fermer DAR HI n’est pas une décision facile à prendre. Économiquement, c’est une catastrophe pour nous car nous avons investi beaucoup d argent dans ce projet.
 

Il va falloir trouver une solution mais surtout je voudrais en profiter pour faire entendre ma voix et aider à ce que les Tunisiens comprennent la réalité actuelle du  secteur touristique  en Tunisie. Il faut réagir avant qu’il ne soit trop tard …la Tunisie a des gisements non exploités comme sa jeunesse  qui  est peu mise en valeur et soutenue comme il se doit !
 

Nous sommes encore un peu combatifs. Nous restons ouverts à l’échange avec les autorités, la STEG, nos banquiers voire tous investisseurs potentiels  qui pourraient sauver DAR HI,  cette pépite qui ne demande qu’à briller de nouveau.

Propos recueillis à Paris par Samir Bouzidi pour tunisiensdumonde.com


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