Publié le 06-03-2018

Mohamed Driss: les JTC seront une fête!

Ecrivain, auteur, dramaturge et metteur en scène de théâtre, Mohamed Driss est une icône de théâtre en Tunisie, dans le monde arabe et francophone. Après un exil volontaire en France, il revient en 1988 pour diriger le théâtre national tunisien et depuis lors, tout a changé.



Mohamed Driss: les JTC seront une fête!

Ecrivain, auteur, dramaturge et metteur en scène de théâtre, Mohamed Driss est une icône de théâtre en Tunisie, dans le monde arabe et francophone. Après un exil volontaire en France, il revient en 1988 pour diriger le théâtre national tunisien et depuis lors, tout a changé. Il réinvente le théâtre et le nourrit, d’une année en année, par la délicatesse d’un artiste et l’audace d’un directeur avant-gardiste. Ses œuvres et son théâtre en témoignent. Avec beaucoup plus de générosité qu’on ne l'a imaginé, Si Mohamed Driss nous a accueilli, dans son bureau, lors des préparations des JTC pour nous accorder, en exclusivité, cette précieuse rencontre. Interview.

 

Entre la direction et la programmation, comment envisagez- vous votre travail de directeur de théâtre national ?

 

 

En toute évidence qu’un directeur d’un théâtre en général et d’un théâtre public en l’occurrence le théâtre national doit travailler avec une équipe. Donc, il n’est pas seul. Il a des collaborateurs et ils se partagent les responsabilités. Nous sommes, dans le théâtre national, dans cette dynamique de la complémentarité des compétences, donc nous sommes polyvalents.

 

Un directeur de théâtre est une personne qui a une vision, qui a un projet de théâtre et non pas des pièces de théâtre. Parce que ces dernières s’inscrivent dans le projet général du théâtre. Comment atteindre un objectif majeur, à savoir que le théâtre devienne un art quotidien des tunisiens, et un art basé sur les diversités des propositions et sur la pertinence des créations proposées au public ? Une qualité d’écoute et du temps sont nécessaires.  

 

Un directeur, c’est comme un capitaine de bateau, il a une expérience et il a surtout des repères. Donc, je fonctionne sur plusieurs registres artistiques, en premier lieu, parce que c’est le projet de théâtre. Et sur le plan organisationnel, nous sommes le seul théâtre organisé dans le pays et régi par un statut ,et qui surtout a des projets dans le cadre d’un contrat de travail. Donc nous ne travaillons pas dans l’absolu et nous faisons un contrôle d’exécution comme il y a des projets à l’année. En fonction de la situation, des nouveautés et aussi en fonction des moyens.

 

 

Notre théâtre, si je le dirige avec plaisir, c’est un théâtre qui a opté pour une mission de développement, donc nous sommes des développeurs par excellence. Le théâtre national est une école pour des générations. C'est ainsi qu’on a crée l’école pratique des Arts et Métiers de la scène pour parrainer les Arts frères, qui n’ont pas encore la chance qu’a eu le théâtre comme la danse, le théâtre musical, le cirque artistique et le ballet théâtre.

 

Vous êtes intéressé aussi par la danse. Comment avez-vous développé cet art scénique à travers les activités du théâtre national ?

 

Nous avons un palmarès, grâce à cette politique, très convaincante parce que concrète. Nous avons inscrit la danse dans tout le processus de création et de préparation des acteurs ou les stages que nous offrons à des acteurs jeunes et moins jeunes. La danse est une donnée capitale dans notre travail. Qu’un chorégraphe travaille avec un metteur en scène, est une approche que j’ai installée dans ce pays dès le spectacle de Ismail Pacha lors de l’ouverture du festival International de Carthage en juin 1986. Ce spectacle a permis la rencontre heureuse entre tous les arts scéniques. Et depuis cette nouveauté, nous travaillons sur l’intégration totale de la danse dans la préparation des acteurs et le discours fini de chaque oeuvre. Ce qui donne au théâtre dans notre pays une grande force et une remarquable modernité.

 

Aujourd’hui, être un développeur c'est penser à enrichir le théâtre par l’apport de tous les autres arts spécialement ceux scéniques. Par exemple, la poésie qui est le cœur du théâtre ou même le théâtre en prose comme un souffle poétique. ... je pense que le théâtre qui parle des choses quotidiennes et de terre à terre, reste un théâtre insipide et sans valeur.

 

Pourquoi êtes vous intéressé par le cirque ? Quelles sont les nouvelles œuvres que vous avez réalisé dans cet art?

 

Nous avons réussit à faire entrer dans le concept des arts vivants en Tunisie, un art nouveau, le cirque artistique. C’est un évènement majeur de la vie culturelle tunisienne et dans l’histoire de la culture tunisienne moderne. Nous avons inauguré le 21ème siècle avec un art jeune, impressionnant où il n’y pas de triche. Et nous avons vu à quel degré cet art est convainquant pour tout public et utile pour tout créateur. Donc, on voit déjà même dans nos pièces du théâtre national, beaucoup d’acteurs qui ont le gabarit de circassien et dans différents spectacles des circassiens qui sont des véritables acteurs. Ils ne sont pas des figurants.

L’école du cirque, créee en 2003, est vraiment l’espace de salut pour le théâtre en Tunisie avec plusieurs sens artistiques qui permettent au créateur d’aller très loin dans le jeu d’acteur ou dans ce qu’on appelle l’exécution rigoureuse. Le crique a aussi un apport technique dans le sens où il est l’art qui n’utilise pas la triche, où on ne peut pas maquiller le savoir faire. Il renforce aussi la solidarité, quelque chose qui a presque disparu du théâtre. Il noue l’esprit de corps, la sympathie mutuelle et une sorte de partage très fort.

 

Nous avons réussi, grâce à notre école, à parfaire notre proposition artistique et à s’installer comme l’une des plus grandes écoles de cirque dans le monde. Nous avons remporté les prix les plus prestigieux notamment dans le festival mondial du cirque et c’est l’équivalent des Olympiades. Nous avons l’ambition de populariser cet art et d’enrichir le paysage artistique tunisien à la fois au niveau technique, et celui du savoir faire, mais aussi d’un point de vue poétique.

L’école du cirque n’est pas seulement un lieu de recherche mais aussi un terrain de travail pratique. Il est ouvert à tous les arts frères notamment le théâtre qui demeure un des piliers fondamentaux du cirque. Nous avons fait deux créations qui ont prouvé la parenté du cirque avec le théâtre. La première est Halfaouine qui a fait le tour de l’Europe. La deuxième est Sarkha qui va dépasser les vieux continents pour faire le tour du monde.

 

Et concernant le théâtre musical ?

 

Etre développeur c'est être obstiné, donc c’est notre caractère. Nous avons fait des expériences au théâtre musical depuis les années 90. Nous avons parrainé la première promotion de l’Institut Supérieur de Musique de Sousse. Cette promotion a suivi des cours dans une section créee pour former des acteurs chanteurs. Et nous continuerons sur cette voie (même si dans une époque antérieure, quelques expériences ont échoué par la mauvaise direction des gouverneurs du projet) et nous allons faire de sorte qu’il y ait toujours un atelier permanent qui contribuera à faire avancer les préparations pour un théâtre musical. Il est à inventer à partir de tout ce qui était fait précédemment en Tunisie, dans le monde arabe et dans le monde.

 

Etre développeur c'est miser sur des réussites dans d’autres secteurs mais qui reviennent toujours vers le théâtre parce qu’il est l’art le plus complet, s’il va se limiter à la parole ou aux gestes ou à cette horizontalité dans le respect de la gravité, il devient un art voué à la disparition et il sera surtout abandonné par le pubic.

 

Vous allez présenter la programmation de cette nouvelle année. Quels sont les grands axes qui la définissent ?

 

 

Nous continuerons sur la découverte et la confirmation des jeunes talents et des jeunes compagnies. Nous avons une pièce insolite, Hedda Gabler, qui continue ses présentations au 4ème Art. C’est une pièce d’une grande valeur artistique et d’une grande modernité. La deuxième pièce est « Valises », le nouveau né du théâtre national. C’est une œuvre qui a beaucoup de caractère et une sorte d’aveu sur le métier le plus noble qu'est le métier d'acteur. Une troisième pièce est en cours de préparation, de Jawher El Basti, « El Maazoul », l’isolé, qui a été retenue comme projet et nous sommes en train de préparer les conditions.

Les spectacles de cirque sont en tournée en Tunisie et ailleurs.

 

Qu’est ce qui spécifie les JTC  par rapport aux autres évènements dans le monde arabo-africain ?

 

C’est un évènement majeur dans la réalité culturelle, générale et théâtrale plus particulièrement. C’est le plus grand rendez-vous sérieux de la région parce qu’il a une idée conductrice et parce qu’il a bien choisi ses spectacles pour montrer la diversité de la création mais aussi pour faire découvrir de jeunes talents.

 

Qu’est ce que vous avez envisagé aux JTC ?

 

Chaque édition apporte quelque chose de nouveau. Pour cette édition, les JTC seront sous le thème « Théâtre sans frontières ». Elle assurera une participation de plusieurs pays arabes avec des propositions qui donnent à réfléchir et bien sûr des propositions tunisiennes en grand nombres pour donner un éclat particulier suite à la célébration du centenaire du théâtre en Tunisie.

 

Et les pays africains ?

 

Ils sont aussi présents. Nous sommes en train d’avancer par rapport à la participation africaine. Nous ne pouvons pas programmer tous les pays africains par manque de moyens, et aussi par l’absence d’un réseau d’information Sud-Sud qui rend l’Afrique accessible. Je pense que tant qu’il n'y a pas un intérêt de la coopération à la fois trans-national et des relations d’échange dans le cadre de la coopération culturelle et technique, et tant qu’on ne pense pas profiter des grandes manifestations sportives pour faire voyager des artistes ou des œuvres entre les pays africains, nous sommes dans une situation qui n’est pas prometteuse.

 

Mais nous faisons quand même un effort avec nos peu de moyen pour assurer une présence africaine de valeur.

 

Y a t il une possibilité d’élargir le champ de vision des JTC ?

 

Oui bien sûr. C’est une dimension qui est évidente. Déjà les JTC sont l'unique festival arabo - africain ayant une ouverture sur le monde. Donc, la méditerranée et le monde commencent de chez nous. Il y a aussi d’autres pays qui ont beaucoup de prestige dans le théâtre.

 

Nous avons un choix d’équilibre entre les régions. L’Asie a été présente, dans les éditions que j’ai dirigées. Cette année, une autre partie de l’Asie, l’Iran, sera présente. Ce qui constitue un grand pas très remarquable. En plus, il y aura un hommage au théâtre allemand, une première en Tunisie.

 

Et mis à part les pièces ?

 

il y aura un programme qui accompagnera les présentations qui sont plus que 70, un chiffre important. Nous avons des moments forts aux JTC. Le programme parallèle sera focalisé sur les théâtres et leurs œuvres avec des rencontres pour connaître, découvrir et mettre à jour ses connaissances du théâtre présent. Il y aura aussi les hommages, les soirées poétiques, les concerts et les fêtes. Les JTC de cette année, est un programme diversifié, public et qui répond à la vocation de cet évènement.

 

Henda

 

  

 


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