Publié le 06-03-2018

Le triste récit d’une philosophe française face à la famille de feu Mabrouk Soltani

Laura-Maï Gaveriaux, philosophe écrivant dans les médias s’est rendue à Jelma à la rencontre de la famille de feu Mabrouk Soltani.



Le triste récit d’une philosophe française face à la famille de feu Mabrouk Soltani

Aujourd’hui… j’ai pris une route goudronnée. Au bout de la route goudronnée, j’ai pris une route de terre. Au bout de la route de terre une piste. Au bout de la piste une maison posée là, au pied de la montagne.

Il y avait l’armée, la garde nationale et l’attroupement des gens du village.

Je suis arrivée tard. J’ai l’habitude de passer après les journalistes, dans ces moments. Je ne suis pas journaliste : je suis une philosophe qui écrit dans les médias. Alors, j’attends que les télévisions et les radios soient reparties, avec leurs équipements. Je viens après, toute seule, avec mon petit carnet, mon crayon, seule, et je me présente en leur tenant la main.

Au bout de la piste, la maison. Et dans la maison, trois femmes, assises par terre. Il n’y a pas de chaises, pas de table, de toutes façons.
Trois femmes, assises par terre, avec leurs voiles et leurs fichus colorés. Une jeune fille, le regard fixe, effacée. Une femme âgée, toutes rides dehors. Et au milieu, une maman… à la peau tanée de soleil et aux yeux noyés de douleur.

Aujourd’hui, j’ai vu le corps sans tête d’un enfant de 16ans. Ligoté, les mains dans le dos, comme un combattant. Mais Mabrouk avait 16ans.

Aujourd’hui j’ai tenu le bras d’une mère qui a vu revenir la tête de son fils dans un sac en plastique.

Pourquoi est ce que les voisins, la famille, les cousins, pourquoi ont ils voulu m’emmener dans cette maison ? Alors que le Ministre avant moi s’est fait dégagé, alors que les journalistes tunisiens n’ont pas pu dépasser le petit talus devant la maison, et que la mère a refusé de les voir ? Pourquoi m’ont ils prise par le bras, pour m’amener jusqu’à ces femmes, pourquoi m’ont ils montré le corps, pourquoi m’ont ils gardée ?

D’habitude, j’insiste toujours : je ne suis pas journaliste. Je suis une philosophe qui écrit dans les médias. Car journaliste, c’est un métier. Tout le monde ne s’improvise pas journaliste. Et c’est bien. D’autres font un travail de journaliste, ils le font parfaitement. Certains même, que j’admire.

Mais cette fois ci, je n’ai pas voulu perdre de temps avec ça.

Quand je suis partie de Celta, les hommes qui m’avaient amenée à la maison de la maman de Mabrouk m’ont pris la main. Ils m’ont souri. Je leur ai demandé : « pourquoi m’avez vous emmenée ici, et laissée entrer dans la maison ?

- Tu es la seule journaliste étrangère à t’être déplacée. Et nous sommes tristes pour la France. On voulait te le dire.»

Aujourd'hui, pour une fois, j'ai bien voulu dire que j’étais journaliste


Laura-Maï Gaveriaux
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