Publié le 07-12-2022

TotalEnergies devant la justice

Quatre associations pointent les risques pour les populations locales et l'environnement que susciteraient la construction du plus long oléoduc chauffé du monde et le forage de 419 nouveaux puits de pétrole.



TotalEnergies devant la justice

«Cynisme» de TotalEnergies ou «obstination» des ONG ? Le groupe français était assigné mercredi devant le tribunal judiciaire de Paris par six ONG qui lui reprochent de manquer à son «devoir de vigilance» sur un mégaprojet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie.

Les Amis de la Terre, Survie et quatre ONG ougandaises accusent TotalEnergies de mener ce projet au mépris des droits humains et de l'environnement et somment le groupe de respecter une loi votée en 2017, qui impose aux multinationales un «devoir de vigilance» sur leurs activités dans le monde.

Cette législation les oblige ainsi à «prévenir les atteintes graves envers les droits humains, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement» chez leurs sous-traitants et fournisseurs étrangers par l'intermédiaire d'un «plan de vigilance», qui doit cartographier les risques et établir les mesures pour les prévenir.

L'audience de mercredi, devant de nombreux acteurs du monde associatif et politique dont des députés à l'origine de la loi, est la première sur le fond devant la justice depuis le vote de 2017. Elle se tient avec trois ans de retard en raison d'une bataille procédurale perdue par le géant pétrolier et gazier. Dans le cas de TotalEnergies, les six ONG ont dans leur viseur deux chantiers colossaux:

«Tilenga», un forage de 419 puits en Ouganda en partie situés dans un parc naturel, et le projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline), plus long oléoduc chauffé au monde, destiné à transporter les hydrocarbures jusqu'à l'océan Indien en traversant la Tanzanie sur 1.445 km.

La phase active des travaux a débuté en février et la production de pétrole en Ouganda, un pays autoritaire d'Afrique australe, doit démarrer en 2025 en dépit des condamnations du projet par le Parlement européen, quatre rapporteurs spéciaux de l'ONU et de nombreux responsables politiques et associatifs.

«118.000 expropriations»
Durant cette première audience historique, Louis Cofflard, l'avocat des associations, a regretté que TotalEnergies n'ait pas mis à profit les trois années de procédure pour «s'engager et se conformer à ses obligations», regrettant une «certaine forme de cynisme» chez le groupe pétrolier et gazier.

Pointant les manquements supposés du plan de vigilance de TotalEnergies, il s'est désolé de ne pas y trouver «les risques environnementaux et les incidences climatiques liés au projet».

Sa consœur Céline Gagey lui succède au nom de Survie en énumérant les oppositions au projet et les chiffres qui font mal. Quelque «118.000 expropriations partielles sont nécessaires pour ce projet», assure-t-elle, mais les populations à indemniser, souvent des petits agriculteurs, sont «privées du droit de travailler leur terre avant d'avoir reçu la moindre indemnisation».

Au total, 28.000 personnes attendent toujours une indemnisation et «TotalEnergies ne prend aucune mesure pour éviter que des milliers d'agriculteurs soient privés du droit d'utiliser leur terre», poursuit Me Gagey en demandant que le tribunal ordonne au groupe de les payer immédiatement.

En face, l'avocat de TotalEnergies, Antonin Lévy, assure qu'il aurait «pu passer cinq heures à dénoncer les manquements» et les contre-vérités des ONG mais préfère se concentrer sur «l'irrecevabilité de leur demande». Entre autres raisons, il note que l'assignation lancée en 2019 visait le plan de vigilance de 2018, qui a évolué depuis, et que le juge des référés ne peut pas prendre des mesures extraterritoriales. Le projet, rappelle Antonin Lévy, est mené par TotalEnergies Ouganda, une filiale du groupe français.


Les ONG veulent en réalité faire «le procès de TotalEnergies, de Tilenga et d'EACOP, de la Tanzanie, de l'Ouganda et leurs dirigeants», assène l'avocat, qui dénonce «cette obstination à être l'affaire emblématique, celui qui fera peut-être jurisprudence, au détriment des populations concernées». La décision a été mise en délibéré au 28 février.

AFP



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