Publié le 28-06-2022

L’Architecture un désarroi, une déchéance

Cet article ne démarre pas d’une feuille blanche. Il démarre comme un projet d’architecture, il part d’une voix, d’un timbre, d’une trace. La trace aujourd’hui, sont les plus célèbres citations de Victor Hugo qui dévisage l’Architecture comme les empreintes laissées par les périodes et les instants : « L'architecture est le grand livre de l'humanité, l'expression principale de l'homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence. », et j’y ajouterai volontiers : soit comme un désarroi et une déchéance.



L’Architecture un désarroi, une déchéance

Victor Hugo a aussi résumé tout de ce qu’est l’architecture en proclamant que « Les plus grands produits de l'architecture sont moins des œuvres individuelles que des œuvres sociales ; plutôt l'enfantement des peuples en travail que le jet des hommes de génie. ». En regard de cela, je constate que notre société sait de moins en moins faire de l’Architecture.

Pourtant la Tunisie compte plus de six mille architectes repartis entre le secteur privé, l’administration et l’enseignement, trois divisions dont chacune devrait apporter son eau au même moulin, regroupées dans un ordre qui n’est que l’Ordre des Architectes de la Tunisie, un Ordre de ce désordre.

Oui, messieurs, dames, tout ce désordre dans nos bourgs, dans nos villages et dans nos villes et qui est simple à constater, est structuré autour d’un Ordre qui à vrai dire n’est que la cinquième roue du carrosse des Ordres reconnus par un Etat qui ne lui consacre -pour les questions les plus importantes- qu’un rôle consultatif.

Un Ordre créé par la force d’une loi en 1974 alors que la Tunisie toute entière ne comptait que deux cent architectes, à partir d’une médiocre copie française de l’époque du régime de Vichy, une loi qui cadenasse les initiatives et les diversités. Rappelons-nous que 1974 a constitué l’apogée du PSD, ce parti stalinien dans sa structure et qui croyait comme fer en la centralité.

Aujourd’hui, ce sont les conseils de l’Ordre successifs qui tiennent à un texte qu’ils dénoncent durant leur campagne et qu’ils glorifient une fois au poste, et pour une fois, ce n’est pas une citation de Victor Hugo que j’emploierai, mais celle de l’écrivain britannique Charles Langbridge Morgan : « L’absolu exerce sur les hommes un pouvoir de fascination non seulement par le contraste avec leur existence livrée au hasard mais aussi par le sentiment qu’il les immunise contre la fragilité humaine ».

L’Ordre et les Architectes doit assumer son rôle qui consiste à défendre la profession, un devoir citoyen.

Je reviens à Victor Hugo qui dit : « Il est de règle que l'architecture d'un édifice soit adaptée à sa destination de telle façon que cette destination se dénonce d'elle-même au seul aspect de l'édifice. » . Il est clair ici que Victor Hugo ne connait pas nos Berges du lac, alors que dans ce sens le Jardin d’enfants d’El Menzah 1 reste de lui-même une leçon, un édifice qui n’a pas nécessité et ne nécessitera pas de le badigeonner en rose fuchsia et en vert métro avec des papillons et des cigognes dessinés.

Aujourd’hui nous sommes devenus des designers et non des architectes.

La principale différence entre un designer et un architecte est que le premier spécialiste est principalement responsable de l'aspect esthétique d'un projet particulier, et le second de la mise en œuvre efficace du concept développé.

La tâche principale de l'architecte est d'assurer, tout d'abord, l'efficacité de la mise en œuvre des concepts de construction ou de conception dans la pratique.

Ce mot concept revient toujours et il est utilisé à mon sens à tort par les designers. Il faudrait regarder du côté de la philosophie plutôt que du celui du marketing, pour distinguer la confusion qu’il y a entre concepts et idées.

En effet, la philosophie nous apprend que le concept est la Logique, alors qu’en design, le « concept » est la tendance. Le concept architectural nécessite une cohérence entre plusieurs éléments qui font une œuvre globale, le théâtre municipal par exemple répond à son concept alors que la cité de la culture beaucoup moins, le premier est attaché à son concept, la deuxième n’est qu’une tendance, une idée.

Comme Victor Hugo, « Je m'intéresse fort au progrès que peut faire cette petite architecture intérieure qu'on appelle l'ameublement. » et je trouve, contrairement à ce que pense la majorité de mes confrères, que ce sont les architectes qui ont usurpé le titre d’Architecte d’intérieur, mes jeunes confrères ne savent plus décortiquer, analyser et diagnostiquer : pour concevoir, ils préfèrent dans leur majorité, esquisser sur des logiciels qui, s’ils facilitent le travail, ils abrutissent la réflexion et les amènent à produire le même habit pour des moines différents, faisant des bouts de quartiers, des quartiers et de nos villes un cumulus du même produit.

Et je termine par cette citation de Victor Hugo qui peut paraitre hors contexte « C'est l'abbé qui fait l'église ; C'est le roi qui fait la tour ; Qui fait l'hiver ? C'est la bise. Qui fait le nid ? C'est l'amour. »

Ilyes Bellagha
Architecte
 



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