Publié le 24-09-2021

Abdelaziz Belkhodja : les circonstances exceptionnelles exigent des pouvoirs exceptionnels

Sommes-nous sur la bonne voie ? doit-on crier de joie ou de peur ? y a-t-il toujours des solutions pour l'économie tunisienne ? ... Abdelaziz Belkhodja a accepté de partager avec nous son point de vue et ce qu'il pense de la politique en Tunise.



Abdelaziz Belkhodja : les circonstances exceptionnelles exigent des pouvoirs exceptionnels

 Avant de parler de la situation actuelle du pays, rappelons que vous avez soutenu Nabil Karoui, vous étiez même son porte-parole quand il était en prison. Puis vous avez été le premier à démissionner du parti…

Pourquoi vous l’avez soutenu et pourquoi vous avez démissionné ?

Nabil Karoui est un ami, c’est quelqu’un qui, comme nous tous, a des qualités et des défauts. Chez lui, ils sont extrêmes. Il y avait de tout dans Qalb Tounes et aussi des personnes intéressantes, nous avions rédigé un programme réaliste et ambitieux, plein d’idées neuves. L’arrestation de Nabil (celle du 23 juillet 2019), pour des raisons purement politiques, m’a révolté, d’où mon engagement vigoureux à le défendre. Je me suis retiré le jour où Qalb Tounes a voté pour Rached Ghannouchi.

 

 Les choses ont changé maintenant.. plutôt Kais Saied a tout changé… Est-ce que vous êtes optimiste par rapport à la situation ?

Kais Saied a fait ce que tout le monde espérait. Il faut toujours avoir en tête que la légitimité est plus importante que la légalité, or celle de Kais Said est phénoménale et son combat contre la trahison et la corruption est partagé par l’essentiel des Tunisiens. Reste la manière de mener cette guerre, elle est souvent Donquichottesque, mais le 25 juillet, quand il est passé à l’action, c’est un autre Kais Saied qui est apparu et 95% de la population a approuvé son acte. Depuis, beaucoup se sont inquiétés de ses intentions et de sa capacité à poursuivre son combat. Mais les circonstances exceptionnelles exigent des pouvoirs exceptionnels. L’opacité est de rigueur, c’est normal lorsqu’il s’agit de démanteler un système. Maintenant, et vu le travail à accomplir pour remettre le pays debout, il faut lui accorder une importante période de grâce. Je suis optimiste de nature, la Tunisie est un pays phénoménal, nous sommes capables du pire, mais aussi du meilleur.

 

Vous ne craignez pas le retour à la dictature?

La peur est mauvaise conseillère. Il faut se remémorer les dix années passées. Rappelez-vous toutes les manifestations, d’abord contre Ben Ali, puis, à partir de 2011, contre Ennahdha, à l’époque, beaucoup de policiers s’étaient « laissés pousser la barbe, » ils usaient de violence, Ennahdha avait aussi ses milices, elle travaillait de pair avec les salafistes qui circulaient, quasiment armés, dans leurs Dmax, mais jamais les Tunisiens n’ont reculé. Souvenez-vous de l’exposition d’El Abdeliya, les artistes et leurs amis ont résisté, le 9 avril, quand Ennahdha a essayé de fermer l’avenue, souvenez vous de cette manifestation monstre sur Mohamed V, souvenez-vous des manifestations géantes qui ont suivi les assassinats de Belaid et Brahmi, il y a des centaines d’exemples qui montrent que plus jamais l’Etat ne pourra devenir dictatorial. Au sein même de l’Etat, les mentalités ont changé. Les fonctionnaires ont compris que les pouvoirs, quelque soit leur force, sont éphémères, ils ne prennent plus le risque de les soutenir à tout va. Aujourd’hui, la Tunisie a besoin de se remettre debout et la grande majorité l’a compris. Restent ceux qui perdent: les politiciens, et ceux qui craignent vraiment pour les libertés: les intellectuels. Les premiers sont des opportunistes, les seconds eux, sont sincères, ils connaissent les dérives des gouvernants, ils savent ce que signifie la tentation totalitaire, il appartient à Kais Saied de les conforter beaucoup plus sérieusement qu’il ne le fait en ce moment. C’est son devoir, il doit sortir de l’isolement et les rencontrer.

 

« Kais Saied a profité de l’article 80, comme Elissa l’a fait avec la peau de bœuf.» Qu’en pensez-vous ?

La « ruse » d’Elyssa a permis à la Méditerranée occidentale d’entrer dans la civilisation et elle a offert à la Tunisie la prospérité. Kais Said a en effet « profité de l’art 80 », mais c’est l’histoire qui le jugera, selon sa réussite ou son échec. Ce qu’il a fait est très courageux, mais la gestion et la réussite d’un pays exigent bien d’autres qualités.

 

 Sur Facebook, vous avez des publications très optimistes par rapport à l’économie du pays. C’est tellement optimiste qu’on croit parfois que c’est de la satire…

Les Tunisiens regorgent d’idées, la fameuse « matière grise » tunisienne de Bourguiba qui expliquait que c’était notre seule richesse. Je crois très sincèrement que toutes les idées nécessaires existent et que la Tunisie peut sortir très vite de ses crises. Elle l’a souvent fait dans son histoire, même depuis l’Indépendance. Ce qui lui manque aujourd’hui, c’est une vision claire, des plans réalistes et une administration capable de les exécuter. 


 

A l’époque, il y a avait Hedi Nouira , Hassen Belkhodja, Mansour Moalla, Bahi Ladgham..

La Tunisie peut-elle créer une autre classe politique qui joue dans la même division ?

A l’époque, ils avaient un rêve, celui de développer la Tunisie. Ils avaient mis en place un régime présidentiel et avaient plus ou moins réussi. Mais le vieillissement du pouvoir a empêché toute évolution démocratique. Depuis 2011, l’évolution démocratique a eu lieu mais le régime parlementaire a créé trop de division et a empêché les responsables de gouverner. En 2021, peut-être qu’avec le retour du régime présidentiel, la Tunisie va se remettre debout tout en préservant ses acquis démocratiques. La réponse est dans la volonté de cette nouvelle classe politique qui doit émerger, mais aussi dans sa capacité à écouter la société civile et à travailler avec elle. Parce que l’Etat tel qu’on l’a connu, refermé sur lui-même, n’a plus d’avenir. 

 

Propos recueillis par: Zahreddine Berhima



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