Publié le 06-03-2018

Une éditrice tunisienne retenue 6 heures par la police des frontières à Paris

En visite à Paris pour le salon du Livre, une éditrice passe 6 heures dans les locaux de la police des frontières, à Paris. L'ambassadeur de France en Tunisie a adressé ce matin une lettre à Mme Diri pour lui exprimer ses "profonds regrets pour ce déplorable incident".



Une éditrice tunisienne retenue 6 heures par la police des frontières à Paris

En visite à Paris pour le salon du Livre, une éditrice passe 6 heures dans les locaux de la police des frontières, à Paris.

Myriam Diri, est responsable des achats des éditions Cérès à Tunis, un des plus anciens et plus réputés éditeurs du Maghreb. Editeur en Tunisie de grands noms de la littérature et des sciences humaines françaises (et d’un ministre français  actuellement en fonction), Cérès est également le principal importateur/diffuseur de livres français en Tunisie.

Arrivée le 20 mars à Orly, elle devait rencontrer les éditeurs et distributeurs français, ses rendez-vous sont bookés bien à l’avance, son badge professionnel est prêt, et ses livres disponibles sur le stand tunisien. Une mission classique pour Cérès, qui est par ailleurs le premier acheteur de droits français au Maghreb, et sans doute le plus ancien partenaire du ministère français (Bureau du livre) dans la région.

Myriam a son visa, délivré par le Consulat de France de Tunis, rapidement octroyé sur recommandation du Bureau du Livre de L’Institut français de coopération de Tunis, dont Cérès est le principal interlocuteur. Elle ne s’attendait pas à vivre cette aventure.

Dès son arrivée, la police des frontières l’informe qu’elle sera refoulée pour non présentation de documents nécessaires à l’entrée sur le territoire français. Il s’agit de son assurance, et de sa réservation d’hôtel.

Elle est aussitôt parquée dans un bureau sous la surveillance d’un fonctionnaire : à aucun moment, elle n’aura la possibilité de s’expliquer.

Joints par téléphone portable, ses parents et son employeur s’empressent de faxer les documents requis et téléphonent à la police des frontières pour s’entendre dire que la décision de reconduite en Tunisie est maintenue.

Alertés, les partenaires de Cérès, appellent à leur tour et tombent tous sur une dame aussi polie que zélée, qui leur débite la même litanie, insensible à leurs arguments : « Nous avons bien reçu les fax, mais ces documents auraient dû être présentés lors de son arrivée, et non après… La loi sur les étrangers en France est claire, j’applique la Loi »…

Des éditeurs français ont appelé, proposant de venir eux-mêmes chercher  l’éditrice tunisienne, et de s’engager à l’héberger s’il le fallait.

Le BIEF, Bureau international du livre français, des représentants de l’Alliance internationale des libraires français (AILF), du Bureau du livre à Tunis (relevant de l’Ambassade de France), et plusieurs autres partenaires professionnels devants rencontrer la représentante de Cérès au Salon, tous se sont succédés pour essayer d’expliquer à cette policière si respectueuse des « Lois sur les étrangers en France » qu’à partir du moment où la preuve avait été faite que cette personne était en règle, il n’y avait pas de raison pour la refouler. Tous se sont heurtés à la même réponse : c’est la Loi, et de toute façon ce n’est pas moi qui décide. Celui « qui décide » restera bien entendu injoignable.

Pendant ce temps les heures passent et Myriam Diri est assise, pratiquement « gardée à vue » et sans recours ni autre soutien que son employeur qui la tenait informée au téléphone de la mobilisation en cours.

On finit par la remettre dans l’avion pour Tunis. Et ce n’est qu’à quelques minutes du décollage qu’elle est appelée par le Commandant de bord, qui l’informe que la police des frontières a finalement décidé de la laisser entrer !

A ce jour, nous ne savons pas quel argument a fait plier l’Administration, quel est l’appel qui l’a convaincue qu’un éditeur –fût-il maghrébin- n’est pas une menace pour la sécurité nationale ? Qu’à la veille de la journée de la Francophonie, il serait malvenu d’expulser un diffuseur de livres français en Tunisie ? Que si le syndicat du livre français venait à s’émouvoir qu’une collègue tunisienne ne puisse assister au salon, éconduite pour « défaut d’assurance » », cela ferait désordre ?... Mystère.

Alors faut-il se taire et admettre qu’une attente, certes humiliante, mais  suivie d’un « heureux » dénouement doit passer par pertes et profits de notre relation culturelle  et affective à la France ? Non, ça serait mépriser ce que la « patrie des droits de l’Homme » ne cesse de nous rappeler : le respect de la personne.

Oui, nous trouvons ces procédés dégradants  et scandaleux : notre représentante était munie d’un visa en bonne et due forme, les documents qui lui ont été réclamés à la frontière ont déjà été maintes fois présentés pour l’obtention du visa. A aucun moment elle n’a été informée qu’elle devait présenter ces documents de nouveau à son arrivée en France.

Au-delà de la  procédure et de sa valeur juridique, nous protestons contre son application mécanique, littérale et totalement déshumanisée, comme s’il fallait « faire du chiffre »,  ce mépris des arguments des personnes extérieures dont la qualité (éditeurs, libraires, officiels, employeurs…) aurait au moins dû leur valoir l’accès à un  interlocuteur responsable.

A quoi riment ces expulsions sans fondements réels, purement formels ? On imagine le nombre de personnes ainsi refoulées tous les jours, pour un papier oublié, une fiche d’assurance ou une réservation d’hôtel ?

Ce genre de mésaventure creuse tous les jours le fossé entre les deux rives de la Méditerranée ; plusieurs intellectuels maghrébins ont depuis longtemps renoncé à affronter le chemin de croix de la demande de visa, à laquelle s’ajoute aujourd’hui le pouvoir arbitraire et exorbitant d’un agent de police de les refouler sans explication, ni recours ; disposant ainsi de leur temps, de leur argent et de leur dignité.

C’est aussi comme cela que la langue française perd du terrain, que l’on annihile les efforts des derniers francophones maghrébins, et que l’Union pour la Méditerranée ne serait plus que   l’expression de  gesticulations  politiciennes autour d’un mythe …

CERES EDITIONS-TUNIS

photo:www.ceres-edition.com

 


Maj: Suite à cette affaire, Monsieur Pierre Ménat, Ambassadeur de France en Tunisie a addresé une lettre à Mme Myriam Dridi dans laquelle il exprime ses « profonds regrets pour ce déplorable incident ». Cette lettre a été publiée sur le site web de l’ambassade de France de Tunisie.

Lettre de l’Ambassadeur de France à Mme Myriam Diri

 

 

Madame,

J’ai appris ce matin les difficultés que vous avez rencontrées le 20 mars à l’aéroport d’Orly, alors même que vous disposiez d’un visa délivré par le Consulat général de France à Tunis. Dès aujourd’hui, je tiens à vous présenter mes profonds regrets pour ce déplorable incident. Bien évidemment, j’ai demandé qu’une enquête soit diligentée sur les faits en question.

Il est malheureux que cette pénible circonstance concerne une collaboratrice des éditions Cérès, partenaire important et apprécié de notre service culturel. J’espère vivement que vous-même et M. Karim Ben Smaïl, Président-directeur général de Cérès Editions et Cérès Diffusion, voudrez bien accepter l’expression de mes regrets.

Je vous redis ici la ferme volonté de l’Ambassade de France de poursuivre la fructueuse collaboration que nous menons depuis plusieurs années.

 
Pierre Ménat

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