Publié le 06-03-2018

Human Rights Watch : Le projet de constitution doit être revu

L’Assemblée nationale constituante de Tunisie devrait modifier les articles du nouveau projet de constitution qui menacent les droits humains. Human Rights Watch a analysé ce projet afin d’identifier les  sources de préoccupation relatives aux droits humains.



Human Rights Watch : Le projet de constitution doit être revu

Parmi les articles, ou les lacunes, qui suscitent le plus d’inquiétude, figurent : une disposition qui ne reconnaît les droits humains universels que tant qu’ils coïncident avec « les spécificités culturelles du peuple tunisien », le fait que la constitution n’affirme pas la liberté de pensée et de conscience, et la formulation trop vague concernant les limites qu’il est acceptable d’imposer à la liberté d’expression. En outre, le texte n’énonce pas clairement que les conventions sur les droits humains déjà ratifiées par la Tunisie engagent bien le pays et l’ensemble de ses autorités.


« L’Assemblée nationale constituante devrait combler les lacunes du projet de constitution qui pourraient permettre à un futur gouvernement de réprimer toute forme de dissidence ou de restreindre les droits fondamentaux pour lesquels les Tunisiens ont livré un dur combat », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.


L’assemblée a présenté une troisième version de la proposition de constitution le 25 avril 2013, après avoir discuté et revu deux versions précédentes, présentées en août et décembre 2012. L’assemblée doit commencer à voter la constitution en séance plénière au courant du mois de mai.


La dernière version défend de nombreux droits fondamentaux, qu’ils soient civils, politiques, sociaux, économiques ou culturels, et comprend des améliorations par rapport aux textes précédents. Cependant, elle contient aussi plusieurs articles incompatibles avec les obligations de la Tunisie en termes de droits humains qui découlent des traités internationaux, et qui pourraient compromettre la protection de ces droits, a constaté Human Rights Watch.


L’article 21, qui énonce que « les conventions internationales dûment ratifiées par le Parlement ont un statut supérieur à la loi et inférieur à la constitution », crée le risque que la constitution soit utilisée pour passer outre ou amoindrir la protection de  certains droits fondamentaux garantis par certains traités que la Tunisie a déjà ratifiés.


Selon l’un des principes de base du droit international, tout pays doit s’assurer que sa propre constitution est compatible avec ses obligations en vertu de traités qu’il a ratifiés. L’assemblée constituante doit inclure dans sa constitution une disposition reconnaissant que les droits humains garantis dans les traités internationaux ratifiés par la Tunisie s’appliqueront directement et que la constitution et la loi seront interprétées conformément à eux.


Les autres dispositions suscitant l’inquiétude sont :

 

Le préambule, qui fait reposer les fondements de la constitution sur « les principes des droits humains universels en concordance avec les spécificités culturelles du peuple tunisien ». Cette phrase donne une marge de manœuvre aux législateurs et aux juges pour s’éloigner des  normes internationales relatives aux droits fondamentaux;
 

L’article 5, qui déclare que « l’État garantit la liberté de croyance et de culte religieux » mais ne mentionne pas la liberté de pensée et de conscience, y compris le droit de changer de religion ou de devenir athée. Les droits humains seraient mieux protégés par une garantie explicite de la liberté de pensée et de conscience;

Une définition insuffisante des limites acceptables à imposer à la liberté d’expression, d’assemblée et d’association: plusieurs articles du troisième projet de constitution définissent la portée de la liberté d’expression, d’assemblée et d’association en permettant au corps législatif d’adopter des lois qui restreignent ces droits, mais sans présenter clairement les limites des restrictions; et

Une disposition discriminatoire qui prévoit que seul(e) un(e) musulman(e) peut devenir président(e) de la République. Cette disposition contredit l’article 6, selon lequel « tous les citoyens sont égaux en droits et en devoirs devant la loi, sans aucune discrimination ». En outre, le projet de constitution continue à restreindre l’égale protection de la loi aux seuls citoyens de Tunisie.
 

L’assemblée votera séparément sur chaque article, dont l’adoption requerra une majorité simple, selon les règles qu’elle s’est fixées pour le processus. Puis l’assemblée devra approuver le texte intégral lors d’un vote séparé.
 

Si le projet de constitution ne parvient pas à être adopté à une majorité de deux tiers, la commission de coordination devra alors soumettre une version révisée à l’assemblée en séance plénière. Si le texte échoue à nouveau à gagner une majorité des deux tiers, le texte sera alors soumis à un référendum national, où une majorité relative des votants suffira pour qu’il soit adopté.
 

L’Assemblée nationale constituante devrait effectuer un certain nombre de révisions sur le texte actuel pour consolider la protection des droits et combler les failles juridiques, a déclaré Human Rights Watch.
 

« L’assemblée devait s’attaquer à ces dispositions troublantes dès maintenant, avant que la constitution ne soit définitivement adoptée », a conclu Eric Goldstein. « Les Tunisiens ont été les pionniers de la région en insistant sur le respect de leurs droits fondamentaux, et ils ne devraient pas permettre que ces droits leur échappent aujourd’hui. »


K.A.
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