Publié le 06-03-2018

Moncef Marzouki : l'islamiste est un phénomène composite et dynamique

C’est dans l’aile principale du palaisprésidentiel de Carthage, près de Tunis, que Moncef Marzouki a accordé une interview au journal Le Parisien



Moncef Marzouki : l'islamiste est un phénomène composite et dynamique

Vous êtes connu comme un militant des droits de l'homme et un homme de gauche. Pourquoi avoir accepté de former une alliance de gouvernement avec lesislamistes du parti Ennhadha ?


Ce choix ne date pas des élections d'octobre 2011. C'est l'aboutissement d'un très long processus qui remonte aux années 1980. J'étais alors à la Ligue tunisienne des droits de l'homme où coexistaient des communistes, des islamistes, dessociaux démocrates, des nationalistes.

En tant que président de cette Ligue, j'ai dû faire fonctionner ensemble tous ces groupes aux idéologies, certes ,très différentes, mais qui avaient en commun la défense des droits de l'homme. Puis la répression de Ben Ali a frappé les islamistes avant de s'attaquer aux démocrates.

La prison et la torture nous ont rapprochés. Jusqu'à cette fameuse réunion d'Aix-en-Provence, en 2003, où un consensus historique est né : les islamistes d'Ennhadha ont renoncé à la création d'un Etat religieux en Tunisie et se sont engagés à défendre les libertés et l'égalité homme-femme. De notre côté, nous, les laïcs de gauche, nous nous sommes engagés à respecter l'identité arabo-musulmane du pays.
 


Vous vous étiez donc rapproché des Islamistes d'Ennhadha avant même la révolution dejanvier 2011 ?

Quand la révolution a chassé Ben Ali, mon parti, le Congrès pour la République (CPR) a formé, avec les islamistes, une sorte de pôle centriste d'où se sont exclus ceux qui considéraient Ennhadha comme le diable. Puis le peuple tunisien a voté.

Arrivés en tête, les islamistes d'Ennhada n'avaient que 89 sièges sur les 217 élus de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Ils ne pouvaient donc pas gouverner seuls. Et nous, les centristes laïcs, nous étions trop faibles. Que fait-on dans un pareil cas ?

Moi, le laïc modéré, quel choix desociété devais-je faire ? En Tunisie, il existe deux grandesfamilles : les modernistes et les traditionnalistes. Alors de deux chosesl'une, soit ces familles s'opposent et nous allons à la fracture et au chaos, soit nous trouvons une solution médiane. C'est cette voie que j'ai choisie.
 


Vue de France et d'Europe, celle alliance avec les islamistes est parfois perçue comme une compromission...


Les Européens en général, et les Français en particulier, ne comprennent pas que l'islamiste est un phénomène composite et dynamique. Il n'y a pas un, mais des islamismes. Quand j'entends, sur certaines chaînes de télévision françaises, parler du gouvernement « islamiste » en Tunisie et du danger« islamiste » au Mali, en utilisant le même adjectif, je saute auplafond ! C'est comme si, à propos des années 1970, on parlait des communistes français de Georges Marchais et des communistes de Pol Pot, le dirigeant cambodgien, en les mettant dans le même sac. Il y a un univers entre les deux. De la même façon, il y a un univers mental et politique entre leparti islamiste Ennhadha et les djihadistes du Mali.

En faisant l'amalgame, lapresse française brouille les cartes. Et lorsque Manuel Valls Emmanuel parle dela montée du « fascisme islamiste » en parlant notamment de laTunisie, il fait lui aussi preuve de simplification.


Le Parisien
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