Publié le 06-03-2018

La fortune française de Rifaat al-Assad au crible des juges français

Un haras, des appartements par dizaines, comment Rifaat al-Assad, en rupture de ban avec le régime syrien a pu bâtir en France une fortune immobilière évaluée à quelque 90 millions d’euros? Des juges français dissèquent depuis un an le patrimoine de l’oncle du président syrien.



La fortune française de Rifaat al-Assad au crible des juges français

Pour l’association Sherpa, dont la plainte en février 2014 a déclenché l’enquête, ces biens ont été acquis par l’argent de la corruption quand Rifaat al-Assad était le bras droit de son frère aîné Hafez, alors chef de l’Etat, décédé en 2000 et auquel a succédé son fils aîné Bachar al-Assad.

«Ce n’est pas de l’argent syrien», rétorque un de ses avocats, Me Benjamin Grundler, dont le client, entendu le 30 janvier comme témoin par les enquêteurs, a invoqué un soutien financier saoudien. «Des éléments attestant de l’origine légale de la fortune de Rifaat al-Assad ont été apportés», selon Me Grundler.

Accusé d’avoir mené la sanglante répression contre les Frères musulmans et notamment l’assaut sur Hama en 1982, Rifaat al-Assad, 67 ans, tombé en disgrâce, a été contraint à l’exil deux ans plus tard.

- Mitterrand a été «très gentil» -

Au faîte de sa puissance, ses frais «étaient pris en charge par le gouvernement syrien», «tout l’argent qu'(il gagnait, il le donnait) aux pauvres», selon ses propos lors de son audition rapportés à l’AFP par une source proche du dossier. Le moment du départ venu, «je n’avais rien», a-t-il insisté. «C’est François Mitterrand qui m’a demandé de venir en France», «il nous a octroyé des permis de port d’armes, des agents de sécurité. Il a été très gentil».

A Paris, Rifaat al-Assad se lance pourtant dans d’importants investissements immobiliers «pour accueillir (ses) enfants et les gens qui (l')ont suivi», se souvient le sexagénaire désormais installé à Londres, qui a insisté sur son désintérêt pour les détails d’intendance: «Je ne sais pas par quels fonds ils ont été financés»; «je m’occupe uniquement de politique»; «on m’apporte des papiers pour signer et je signe»; «je ne sais pas payer, même le restaurant».

Le patrimoine de sa famille a été détaillé par les enquêteurs des douanes dans un rapport du 15 mai 2014 dont l’AFP a eu connaissance: «La valeur globale du patrimoine immobilier détenu en France, par M. Rifaat al-Assad et sa famille, au travers de sociétés luxembourgeoises à prépondérance immobilière est d’environ 90 millions d’euros». Sur cette somme, «52,62 (sont) détenus indirectement par M. Rifaat al-Assad» via des sociétés, notamment une luxembourgeoise, Sounoune.

- Enquête politique, selon al-Assad -

L’inventaire comprend un haras dans le Val d’Oise (estimation de 7 MEUR), un hôtel particulier à Paris, avenue Foch, doté d’une piscine en sous-sol (24,6 MEUR), un autre avenue de Lamballe (1,2 MEUR), un immeuble avenue du président Kennedy avec une trentaine d’appartements (34,4 MEUR), un terrain rue Jasmin (3,5 MEUR), un immeuble quai André-Citroën (8,5 MEUR) et des bureaux à Lyon (16,3 MEUR).

Entendus comme témoins, plusieurs enfants de Rifaat al-Assad ont également évoqué le sponsor saoudien qui «a financé notre exil depuis 30 ans», a expliqué Soumar al-Assad, 43 ans. «Le haras a été donné à mon père par le prince Abdallah d’Arabie Saoudite», roi de 2005 à 2015, a-t-il ainsi affirmé à titre d’exemple.

Ali, 35 ans, a confirmé qu’un «Etat du golfe l’a beaucoup aidé financièrement». «L’Arabie Saoudite a toujours financé mon père», a renchéri sa soeur Sabla, 41 ans. Et aujourd’hui, Rifaat vit «principalement de la vente des appartements (...) et de l’aide régulière de l’Arabie Saoudite», selon Siwar, 39 ans.

Rifaat a évoqué son amitié avec Abdallah, née d’une passion commune pour la chasse. Il a raconté qu’avant son exil «à chaque fois que la Syrie avait besoin de quelque chose, on (le) missionnait pour aller demander à Abdallah»: «J’ai rapporté beaucoup d’argent à la Syrie sous forme d’aide».

Spécialiste de la Syrie, l’universitaire Fabrice Balanche est sceptique: «L’Arabie Saoudite n’a aucun intérêt à soutenir Rifaat qui ne représente rien», a-t-il dit aux enquêteurs qui disposent d’un témoignage d’un ancien employé de la famille, recueilli le 27 novembre 2014. Celui-ci a raconté comment les appartements de l’avenue Kennedy qu’il gérait «se louaient à la semaine ou au mois», une activité qui n’aurait «jamais été déclarée», selon ses dires.

Pour Rifaat al-Assad, l’enquête qui le vise répond à des motivations politiques. «Je trouve cette histoire étrange (...) Cette affaire n’est pas à l’honneur de la France».


afp

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