Publié le 06-03-2018

Rescapé de la section lettres

A l’époque où je fréquentais les bancs du lycée, la hantise de tout parent normalement constitué était d’éviter que sa progéniture soit orientée vers la section lettres. Il faut dire que pour une majorité de personnes : littéraire rimait avec futur chômeur.



Rescapé de la section lettres

A l’époque où je fréquentais les bancs du lycée, la hantise de tout parent normalement constitué était d’éviter que sa progéniture soit orientée vers la section lettres. Il faut dire que pour une majorité de personnes : littéraire rimait avec futur chômeur.

La section lettres était perçue comme une sorte de formation technique bis vers laquelle étaient affectés tous ceux qui n’avaient pas le niveau pour accéder aux sections scientifiques considérées comme les sections nobles par excellence (de mon époque même la section économie gestion était une section noble mais heureusement on a fini par la démasquer cette salope). Pour résumer la section littéraire était une voie de garage où l’on parquait tous les accidentés de la vie lycéenne.

Certes, il y avait dans le lot de vrais littéraires qui avaient opté pour cette section par conviction, mais ils évitaient de le crier sur tous les toits et ils préféraient adopter un profil bas de peur qu’on leur jette des cailloux en pleine gueule ou pire encore des CD de Hani Chaker.

La direction du lycée pour sa part, ne s’épargnait aucun effort pour nous rabaisser et nous faire sentir notre condition misérable. Ainsi, on nous casait toujours dans les salles de classe les plus pourries (avec une ou deux fenêtres brisées en plein hiver ou avec les fenêtres condamnées en été) et on nous assignait les horaires les plus improbables (le matin de 8 heures à 10 heures avec obligation de revenir de 16 heures à 18 heures l’après-midi).

Le seul domaine où la direction consentait à nous fournir un certain soutien c’était pour les cours de langue italienne. En effet, conscient de notre statut de futurs chômeurs, le directeur essayait d’optimiser nos chances en vue d’une éventuelle حرقة au pays des talyen.

A mon époque, la section lettres était majoritairement constituée de filles. Chaque matin en entrant en classe, j’avais l’impression de travailler comme contremaître dans une usine textile (régime loi 1966). D’ailleurs, ce ramadan en regardant le feuilleton Said Errim (ndlr : ce texte a été écrit en décembre 2008) je me suis rappelé avec tendresse de mes années de lycée.

Pour ce qui est des profs, nous n’avions pas à nous plaindre. Le prof de philo pour ne citer que lui, était un mec qui mesurait 1m.60 et qui avait étudié en Irak au début des années soixante-dix. Il considérait Michel Aflaq, le fondateur du parti Bath, comme le plus grand philosophe ayant jamais existé suivi de peu par Saddam Hussein. Je ne sais pas ce que ce mec est devenu, mais je ne serais pas étonné d’apprendre que le jour où on a exécuté Saddam, il s’est fait Hara-kiri avec le couteau qui a servi à égorger le mouton.

En vérité, le dédain avec lequel on traite la section littéraire n’est pas propre à la société tunisienne, on le retrouve dans divers autres sociétés même des plus évoluées. Cela s’inscrit dans une tendance mondiale d’ordre général qui considère les études non comme une fin en soi mais comme un moyen d’accéder au marché du travail. Les matières dépourvues d’aspects pratique et utilitaire à l’instar de la philosophie ou de certaines sciences humaines sont donc méprisées et leur enseignement dénigré.

Une telle politique éducative ne peut être viable à long terme. A trop vouloir cloisonner les savoirs, on risque d’avoir sur les bras toute une génération d’étudiants décérébrés. Du même auteur:

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